le gredin

Jean-Paul Dubois ou l'empereur du doute


La sortie en salle du film de Sam Karman, " Kennedy et moi " avec Jean-Pierre Bacri et Nicole Garcia est loccasion idéale pour mettre un coup de projecteur sur lun de nos plus grands écrivains et auteur de ce scénario, tiré du livre éponyme sorti aux éditions du Seuil en 1996, qui, avait à lépoque, obtenu le prix France Télévision.

 

Dubois est lauteur dune dizaine de roman, de recueils de nouvelles et de plusieurs essais remarqués comme le fut son second livre " Éloge du gaucher dans un monde droitier ". Journaliste au Nouvel Observateur, Dubois poursuit tout au long de son uvre une thématique récurrente : celle de lhomme moderne ou plutôt postmoderne perdu dans un univers matérialiste marqué du sceau indélébile des femmes. Luvre de Dubois semble tout droit sorti de lessai de Elisabeth Badinter XY qui sappuyait lui-même sur la littérature américaine.

 

Pour rester dans la teinte américaine, les romans de Dubois font quelquefois penser à ceux de John Fante pour la rage quils contiennent, mais plus encore, à ceux de Richard Brautigan et à cette douce amertume qui les caractérisent.

 

Nombre de romans de Dubois se passent en Amérique du nord, ou au Canada comme le dernier, peut être son meilleur, du moins le plus abouti, " Si ce livre pouvait me rapprocher de toi ". Depuis Kennedy et moi, son uvre prend un caractère résolument plus sombre ou du moins plus profond. Dubois raconte lhistoire dhommes isolés, silencieux, en rupture avec leur environnement. Des hommes en fuite, en proie au doute ou à la folie comme dans " je pense à autre chose ". Chez Dubois, les ruptures conjugales sont souvent le prétexte à une remise en cause personnelle. Elles sont des analyseurs mais plus sûrement encore des révélateurs de vos propres faiblesses et détresses. Parfois, pourtant chez Dubois, il ny a même pas besoin delles pour que la rupture avec le monde prosaïque se fasse jour. Les femmes représentent le côté terrien, chtonien du monde à lopposé de lunivers de Dubois et de ses hommes, empreints de rêves et dillusions. Mais pour sen sortir, seul le mariage des deux réalise lharmonie vitale à lépanouissement des êtres.

 

Son uvre a basculé vers le tragique alors quelle prenait au départ une tournure plus comique. Entendons nous bien, Jean-Paul Dubois réalise la synthèse des deux caractères principaux de lécriture car en maître de loxymore, il ne peut se résoudre à pencher définitivement dun côté comme de lautre. Ses livres, même au plus profond de la déchirure contiennent toujours un brin dhumour qui les empêche de pencher totalement du côté du drame. Chez Dubois, le rêve contrebalance la réalité et suffit à accéder temporairement au bonheur. Les personnages de Dubois vivent dans un rêve et rêvent leur vie. Kennedy et moi, sur ce point poursuit le chemin entamé par tous les matins je me lève, lun de ses meilleurs romans, assurément le plus drôle. Quand le réel devient trop dur, il reste la force des rêves et loptimisme de lauteur prend le dessus.

 

Doux-amer, pourrait être le terme idéal pour définir son uvre qui atteint maintenant sa plénitude débarrassé quelle est de la tentation de plaire par dessus tout. Dubois touche maintenant le lecteur de plein cur et son écriture sest considérablement tournée vers lessentiel. A limage de ses personnages, avares de mot, Dubois a concentré et condensé son écriture. Dubois possède le sens de la formule et des dialogues qui percutent, mais aussi la force de thèmes récurrents qui permettent au lecteur de retrouver un univers familier de livre en livre mais plus approfondi à chaque fois.

 

Dubois est obsédé par la vie familiale et le mythe de la réussite tel que le propose la vie américaine. Dubois raille et critique la famille, espace de tous les bonheurs, mais surtout espace de toutes les hypocrisies et de tous les mensonges refoulés ou non. Celle ci représente lennemi interne qui vous menace sur vos propres terres. Houellebecquien en diable, Dubois ne dit pas " famille je vous hais " avec Gide mais hurle, " famille vous me faites me haïr ainsi que le monde dans lequel je vis quand je vois ce que lon devient ensemble ". Le temps ruine les êtres et sa patine fragilise les rapports sociaux rongés par lhabitude.

 

Dans ses livres, ses personnages ont du mal à se résoudre à aimer une seule femme et cest dailleurs la galerie de portraits féminins quil réussit le mieux. Ses femmes sont fortes et sortent de lordinaire. Dominatrices comme dans Prends soin de moi ou dans la vie me fait peur ou protectrices comme dans Tous les matins je me lève ou Kennedy et moi, elles protègent de la violence du monde qui népargne pas les rêveurs ou les gens blessés par la vie. Pour Dubois, la vie est un combat. On casse facilement la gueule dans ses romans ou du moins on se la fait casser aussi. Les coups portent droit au visage et au cur. Plus corporel et charnel que cérébral, les romans de Dubois mettent particulièrement laccent sur les plaisirs charnels et notamment la fellation, une grande constante dans ses romans. Le corps nest pas ménagé et soumis à rudes épreuves, il se rebelle comme le mal de dents de Kennedy et moi ou il est le prétexte à des ébats acrobatiques ou passionnés comme Crown dans Prends soin de moi.

 

Chez Dubois, la perte mène à la folie ou à la réclusion mais si elle permet de se prouver ce que lon vaut et donc de trouver sa vraie valeur comme dans Si ce livre pouvait me rapprocher de toi, elle ne laisse guère de répit et frappe à tout instant. Cest pour cela que Dubois nous fait réfléchir sur le bonheur immanent, il semble dire, il faut en profiter pendant que cest possible. Dubois aime les plaisirs simples : un repas, un bon film, un match de rugby , un bon livre et surtout faire lamour. Mais ce qui lui plaît encore plus cest écrire et cela il arrive idéalement à le faire sentir au lecteur, ce qui nest pas rien.

 

Donner du plaisir en prenant soi-même du plaisir, voilà un programme fort séduisant auquel lon souscrit aisément. Lon attend tous la suite de son uvre avec impatience.

 

Bertrand RICARD

 

Extrait tiré de Je pense à autre chose : " Je voudrais me laisser aller, ne plus avoir peur, ne plus me préoccuper du jugement des autres. Je voudrais me débarrasser de toute pudeur, de toute réserve et faire une chose que lon ne peut raisonnablement accomplir quune seule fois dans son existence : dire la vérité. "