le gredin

François Emmanuel : La question humaine

 

L'entreprise et le nazisme


Ce livre de François Emmanuel qui met le tout Paris des lettres en ébullition devait bien être écrit un jour ou lautre tant on le sentait poindre à lhorizon. Depuis "Extension du domaine de la lutte " de Michel Houellebecq et " Un subalterne " de François Rosset on connaissait la prédilection pour les écrivains à planter le décor de leur livre au sein du monde sans pitié de lentreprise. Celle-ci, on le voit bien, depuis le succès des livres scientifiques de Christophe Dejours et de Marie-France Hirigoyen est devenue un champ détudes respectées à défaut dêtre respectable, il nest donc pas étonnant de voir tant de romanciers faire ce choix. Ce qui était déjà esquissé dans le dernier livre de Lorette Nobécourt devient sous la plume de François Emmanuel une évidence : les techniques managériales actuelles se rapprochent de plus en plus des techniques mises en place par les nazis pour lextinction des juifs.

 

Ce qui cloche ici, nest pas lidée que lon retrouve implicitement sous les plumes de la victimologue et du psychiatre, cest le caractère prévisible et léger du raisonnement qui mérite un réel approfondissement et non pas un court roman dun peu plus de cent pages. Le dernier livre de Luc Boltansky et Eve Chiapello " Le nouvel esprit du capitalisme " (Gallimard) sétend sur près de mille pages sur le même sujet sans en épuiser tous les contours. Il ne sagit pas décrire nimporte quoi pour faire du sensationnel, surtout avec une thèse aussi lourde.

 

De plus, ce qui est réellement choquant dans le cas de ce livre, cest également son impersonnalité, il pourrait être écrit par nimporte qui. Il sagit plus dun coup littéraire que dune uvre à part entière. Ce livre révèle létat de crise de la littérature française qui ne sait plus bien sur quelle branche se fixer et qui se raccroche à tout ce qui est sur le point de faire scandale.

 

Pour être juste, force est dadmettre que le débat concernant ce livre a été alimenté par beaucoup de mensonges qui ne figurent pas dans le livre. Emmanuel plus que dénoncer le rapprochement entre les formes de techniques employées pour contraindre les individus à exécuter des tâches mettant sérieusement en péril les droits de lhomme, se contente surtout den montrer les ressemblances et les analogies. Il esquisse une théorie qui a pris sous la plume de ses thuriféraires et de ses détracteurs les traits de la comparaison pure et simple qui napparaît pas dans le livre. Le livre est plus subtil que cela et relativement bien écrit, peut être même trop bien, ce qui lui fait perdre en véracité. Au regard des témoignages recueillis dans "Souffrance en France " ou dans "Le harcèlement moral ", le roman nen apparaît que plus comme pure fiction. Une fois de plus, et pour le pire, la réalité dépasse la fiction et pour une fois les sciences humaines se révèlent meilleures pourfendeuses de troubles sociétaux que lart narratif.

 

" La question humaine " soulève néanmoins linterrogation quant à notre complicité face à une nouvelle forme de génocide "psychologique et mental ". Conçu comme un acte de résistance, ce livre qui décrit la trajectoire dun psychologue dentreprise convié malgré lui à jouer le jeu de la terreur, de la peur et de la souffrance, en un mot à rebours, de la passivité et du silence, ce livre a au moins le mérite de nêtre pas trop long et surtout de pousser le lecteur à approfondir ses recherches et de le pousser à vouloir répondre à cette question cruciale pour le devenir de lhumanité : oui ou non le néo-libéralisme est-il en train de basculer vers linadmissible et linhumain.

 

Sur ce sujet, le GREDIN vous rappelle que vous pouvez toujours aller voir, The Big One de Michael Moore qui répond positivement et de manière autrement plus brutale et intelligente à la question précédente, notamment quand les mots sortent de la bouche des chefs dentreprises eux-mêmes comme le PDG de Nike ou de lentreprise de barres chocolatées " Payday ".

 

Bertrand RICARD