le gredin

 

QUARK NOIR,
Le polar sort sa science

Olivier Cathus


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Maurice G. Dantec le disait haut et fort dans son article pour Les Temps Modernes : "Le XXIème siècle sera scientifique ou ne sera pas"(n°595, 1997). Ceci vaut aussi pour la littérature : "Je ne crois pas qu’un écrivain du XXIème siècle pourra se contenter de fustiger l’horreur économique ou de déclarer la guerre du goût, en continuant de vanter les charmes de l’Italie (ses peintres - ne pas dire Le Titien, mais Vecello - le Quattrocento, la Toscane, Florence, parcours obligé de tout littérateur français postulant à une quelconque reconnaissance). Si vous voulez franchement mon avis, qu’il s’abonne d’abord à La Recherche, ou même à Science & Vie, et après on discutera un peu sérieusement ", écrivait-il encore.
Nous pouvons effectivement regretter avec lui que la littérature française, engluée dans ses examens et radiographies de nombril (pas scientifiques pour deux sous), tourne aussi résolument le dos au monde scientifique. Exceptions notoires, Dantec lui-même bien sûr mais aussi le Houellebecq des Particules... , sans oublier les auteurs de science-fiction ou de polars.

Ce qui nous amène justement à la très intéressante nouvelle collection de polars scientifiques lancée par Flammarion, l’an passé : Quark Noir, dont de nouveaux volumes viennent de paraître.
À la façon du Poulpe ou de l’idéologiquement douteux @lias (Quadruppani, son créateur, appartient à cette tendance de l’ultra-gauche ayant dérapé vers le révisionnisme), la collection Quark Noir possède un héros récurrent, un personnage que se refile les auteurs d’un titre à l’autre : Marc Sidzik.
Marc Sidzik est un astrophysicien de 40 ans, métis eurasien (père français d’origine hongroise et mère vietnamienne), demeurant Tour Helsinki dans le Chinatown du XIIIème arrondissement, quand il n’est pas en mission de par le monde. Epaulé par son pote journaliste Fred Cailloux et entiché de sa fantasque grand-mère Joanna, Marc Sidzik travaille pour le World Ethics & Research, institution internationale surveillant les dérapages du monde scientifique, attentive à ce que les nouvelles découvertes ne soient pas utilisées à des fins condamnables.

Nous y constatons que le héros est un "juste", un type attachant qui possède une conception ouverte et noble de la science. La beauté et l’intuition y ont leur place. Petit florilège extrait de Cyberdanse macabre :
- " la science, la vraie, ne servait pas à déclencher des holocaustes mais à sauver des vies " (p186).
- " Il y a une beauté intrinsèque dans chaque chose, et c’est ce que nous cherchons tous. (...) plus une théorie est élégante, plus elle a des chances d’être juste " (p94)...


Sidzik fait de sa tâche une véritable profession de foi : " Si j’avais continué sur ma lancée, je me serais consacré exclusivement aux étoiles, aux galaxies. Certains événements extérieurs m’ont rappelé qu’autour de moi il y avait des hommes, et que la plupart se moquait bien que les étoiles brillent ou non au-dessus de leur tête. Que l’univers finisse dans le froid ou dans le feu. Il m’est alors apparu que le temps de l’observation, de la contemplation, n’était pas encore venu. Il nous reste tant à faire pour que cette Terre où nous vivons soit... vivable pour tous les hommes, que j’ai décidé d’y revenir et de mettre la main à la pâte. Avec mes faibles moyens. "(pp82-83)


Mais la série ménage également quelque ambiguité, certes Sidzik est un pur, encore assez idéaliste, mais cette institution qui l’emploie possède elle-même ses propres zones d’ombre qui laissent Sidzik dans le doute : quelles sont ses ramifications secrètes, agite-t-elle parfois un bras armé ? Nous n’en saurons pas plus que lui, certes citoyen actif mais pris dans un tourbillon qui le dépasse, ignorant de certains des rouages de la marche du monde, ignorant quels puissants les activent.
Les intrigues entretiennent le flou quant aux dates, ça se passe aujourd’hui mais c’est un aujourd’hui qui est déjà de demain (dans deux ans, trois ans ?)... On découvre donc un quotidien familier qui n’est pour quelques détails pas encore le nôtre. Ainsi dans Cyberdanse macabre de Richard Canal, l’histoire commence-t-elle par un accident survenu sur une " voie automatique " (projet pilote où, sur certaines sections d’autoroute, les voitures sont conduites par un ordinateur central).
Chaque volume de la série aborde donc sous un angle prospectif différents thèmes scientifiques (généralement de quelque actualité) : simulation environnementale, pollution industrielle, vols habités, cristallisation de protéines en impesanteur, ondes électromagnétiques (miroir à retournement temporel), brevetage de gènes, prospection génétique, stimulation cérébrale, etc...
Nous avons pu lire deux épisodes de la collection. Dans le premier, Cyberdanse macabre, de Richard Canal, l’intrigue aborde plusieurs thèmes. Les " voies automatiques " sont une fausse piste, et l’intrigue repart sur une autre direction : Marc Sidzik mène une enquête qui le conduira, en fait, jusqu’à Untel, fabriquant de micro-processeurs ayant poussé un laboratoire à falsifier ses expertises. En effet, pour laver ses puces au silicium, la firme a besoin d’une eau très pure qu’elle entend forer profond dans une nappe d’eau profonde (du Néocomien, ou eaux fossiles). En route, se greffe également le thème d’internet et ses détournements et Marc Sidzik devra se frotter à de redoutables pirates informatiques.
Dans Requiem pour dix cerveaux en fugue de Jean-Pierre Andrevon, on se tient cette fois-ci à un seul thème scientifique, l’inquiétante stimulation mentale... Une série de scientifiques est assasinée. Rassemblés dans une propriété du Nevada, à la façon de "Dix petits nègres", ils disparaissent l’un après l’autre malgré la surveillance du FBI, assassinés l’un après l’autre sur le modèle des "dix plaies d’Egypte". Quels mobiles, quels liens entre eux ? L’invention d’une molécule de stimulation cérébrale, la slavine, sur laquelle ils ont collaboré ?
À la différence du Poulpe qui, fréquemment, fait appel à de jeunes auteurs, Quark Noir va chercher des auteurs confirmés, les grands maîtres de la science-fiction et du polar français (Pierre Bordage, Jean-Pierre Andrevon, Gérard Lecas, Richard Canal, etc...) comptant déjà un bon paquet de romans au compteur de leur bibliographie. Par ailleurs, et c’est là aussi qu’est tout l’intérêt de la collection, chaque volume est supervisé par un scientifique de renom, garantissant une certaine crédibilité sur ce domaine, quand ce n’est pas l’auteur lui-même qui possède une solide formation scientifique (ce qui est somme toute assez répandu dans le microcosme des auteurs de SF). Richard Canal, par exemple, s’il a une abondante activité littéraire, est professeur d’intelligence artificielle à l’Université de Dakar.
Enfin, à ceux qui trouverait que 69 balles, ça fait cher, il n’ont qu’à comparer avec Le Poulpe justement. Au lieu d’une intrigue souvent mal ficelée, imprimée sur du mauvais papier et épais comme un sandwich SNCF, lu en à peine une heure, le tout pour 39 balles (39 balles !!!), voici plutôt un beau livre semi-poche de plus de 250 pages où les histoires (toujours instructives) tiennent la route et en haleine.

 

Olivier Cathus