le gredin


TRICK BABY de Iceberg Slim

 

Olivier Cathus


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Après le très troublant et autobiographique Pimp, il y a deux ans, la collection Soul Fiction des Editions de l’Olivier publie un deuxième roman d’Iceberg Slim, Trick Baby.

La traduction de Pimp était l’occasion de découvrir en français un livre-culte, rien moins que le livre de chevet de nombreux rappeurs américains s’indentifiant au personnage du mac, véritable héros urbain au sein de la communauté noire, symbole du type qui avait compris combien un cul noir pouvait faire cracher leur argent aux michetons blancs.
C’est alors qu’il était en prison, en train d’envisager sa reconversion dans un autre bizness que le proxénétisme, qu’Iceberg Slim rencontra White Folks (pour les amis), alias Trick Baby (pour les autres). Un grand gaillard, sosie d’Errol Flynn. Pourtant il ne faut pas se fier aux apparences, malgré sa peau blanche et ses yeux bleus, White Folks était noir, noir en dedans.
Iceberg Slim le connaissait de réputation, en équipe avec Blue Howard, White Folks ("arnaqueur blanc") était un des plus fameux arnaqueurs noirs de Chicago. Durant leurs quelques jours de cellule en commun, White Folks raconta son histoire à Iceberg Slim qui nous la livre à son tour.
Comme dans Pimp, l’écriture d’Iceberg Slim ne s’embarasse pas de fioritures, c’est l’expérience de la rue mise en mots de la façon la plus brute et directe qui soit. Comme dans Pimp pour le métier de proxénète, à travers un destin particulier situé avec précision dans son contexte socio-historique, nous avons ici le récit d’un apprentissage du métier d’arnaqueur. Vécu de l’intérieur, on découvre les techniques de la combine, ses différents tours… Mais, au-delà de cet aspect qui pourrait passer pour simple folklore, les romans d’Iceberg Slim prennent toute leur intensité par le rendu du contexte, le Chicago et ses cloisonnements raciaux.
Johnny O’Brien est né dans les années 20 d’une mère noire et d’un père blanc. Ce dernier disparut très rapidement du foyer. Ainsi grandit le petit Johnny, seul avec une mère dévorée par l’alcoolisme et s’effeuillant dans un club minable. Un enfant quelque peu livré à lui-même et que les gamins de son entourage, ne pouvant imaginer d’autres types d’union mixte, appelaient Trick Baby, "fils de passe"… La vie était ainsi faite que pour le jeune garçon il était difficile de trouver sa place dans la société américaine ainsi partagée.
Pourtant sa peau blanche devint un avantage dès qu’il se mit en équipe avec Blue Howard qui l’adopta, presque comme un père adoptif, lui appris tous les trucs du métier et lui donna son surnom de White Folks, un oxymore en quelque sorte car un type se faisant appeler "arnaqueur blanc" ne pouvait être que noir. Ensemble, ils allaient pouvoir gruger aussi bien les pigeons noirs que blancs, le bon plan.
Ensemble, ils vivaient bien, dans une certaine opulence mais rien ne va jamais de soi, rien n’est jamais acquis. La vie a ses hauts et ses bas, ses grandeurs et ses décadences. On se retrouve toujours confronté à divers dangers : ne pas empiéter sur les plates-bandes de la Maffia, se méfier des trahisons, des femmes, de l’alcool et des drogues…
Autant dire de suite, que nos deux compère se virent confrontés à un redoutable panaché de ces trois menaces.

Pour White Folks, l’amour prit les traits d’une riche et belle femme blanche qu’il appelait la Déesse. Leur union était impossible, elle raciste déclarée, lui poussé à lui révéler le secret de sa négritude. Et "cette garce de Déesse et sa chatte internationale ineffablement brûlante"(p.306) manquèrent de le conduire au fond du trou, au fond de la bouteille, intoxiqué par l’alcool du dépit. La blessure ne se referma jamais complètement mais il compris ensuite qu’ il était plus malin de louer la carosserie d’une gonzesse que de jouer les jolis cœurs"(p.311).


Véritables récits de vie, les romans d’Iceberg Slim combinent l’éducation sentimentale du personnage à ses interrogations sur un possible déterminisme social dont il serait autant l’acteur que la victime (une victime qui, en tout cas, ne s’appitoierait surtout pas sur son sort).
Côté sentimental, si l’on constate à quel point l’amour tarifé fait partie intégrante du quotidien, on s’amusera par contre des découvertes de White Folks quand il comprit, en voyant un couple de lesbiennes faire l’amour, l’importance du cunnilingus dans le plaisir féminin : "voilà pourquoi ces lesbiennes n’ont pas besoin d’un zob pour envoyer une fille en l’air. Ces tordues ont une technique diabolique"(p.146). Il se précipitera pour la mettre en pratique avec succès sur la première femme venue, Jackie, une femme mariée qu’il convint moyennant finance de passer au lit avec lui. Résultat concluant : "Je me faisais du souci pour le mari de Jackie : au lit il allait passer pour un nul ! La technique lesbienne avait éveillé la cochonne qui sommeillait en Jackie"(p.149)…
Mais si l’intrigue se retrousse sur ces passages distrayants, le déchirement du personnage semble aussi insoluble que la question raciale aux Etats-Unis. Qu’il reste avec des Noirs et on l’appelera toujours Trick Baby, qu’il aille arnaquer des Blancs, il devra garder pour lui son secret sous peine d’être rejeté tout de go…

Même si Pimp possédait une force particulière de par sa dimension autobiographique, avec Trick Baby, Iceberg Slim nous livre une nouvelle fois un témoignage bouleversant et sans concessions. Iceberg Slim ne juge pas ses personnages, il essaie de nous faire comprendre leur destin souvent tragique. "Je comprends pourquoi le peuple noir doit pour s’en sortir, voler, mais je n’arrive toujours pas à croire que le crime est une solution viable. L’énergie et le talent exigés pour devenir un délinquant de réelle envergure pourraient être utilisés de manière bien plus positive. Si un maquereau parvient à contrôler neuf femmes, il peut tout aussi bien faire autre chose". !

 

Olivier Cathus