Chronique Date : 12 décembre 01
par Bertrand Ricard

Miles Davis, the complete In a silent way sessions, sony, 2001.

Poursuivant son travail de publication de l'œuvre complète du trompettiste de Saint Louis rehaussée d'inédits, Sony publie cette fois l'une des pierres angulaires de son œuvre. L'une de celles qui n'a pas seulement bouleversée ses fans mais surtout le monde de la musique en général. Combien de musiciens, et pas seulement en jazz, vous diront que ce disque est l'un des plus beaux du siècle, du moins l'un des plus déroutants et riches jamais publiés.
Dans un superbe article, Lester Bangs, montre que cette richesse repose en partie sur le mystère fascinant de la mélancolie purement milesienne. Jamais achevée, ni définitive, cette musique est profonde car elle laisse la porte ouverte à toutes les suggestions possibles et surtout, elle ne se veut pas définitive. Chacun est libre d'y lire ce qu'il veut et surtout, cette musique laisse planer un esprit de liberté rarement égalé en jazz après la mort de son ancien complice John Coltrane.
Miles, pour la première fois et mieux encore que dans le futur " Bitches Brew ", s'abandonne à la fée électricité mais sans jamais y succomber totalement. Pas moins de trois claviers viennent napper le fond sonore - qui ne se laisse pas facilement appréhender écoutes après écoutes : deux fender rhodes et un orgue rivalisant d'invention et fait rare, d'écoute mutuelle, sans que jamais l'un des musiciens ne cherche à voler la vedette à ses partenaires - sur lequel les souffleurs dressent des improvisations modales bouleversantes.
Miles est au meilleur de sa forme, tant dans le son que dans l'invention. Wayne Shorter poursuit habilement son travail d'exploration mélodique, cette fois au soprano. La rythmique brûle du feu de l'enfer et nous envoûte : mention spéciale à Tony Williams, comme toujours génial. Dressons une mention spéciale au producteur, fait rarissime en jazz, Téo Macero, qui, comme il nous est donné pour la première fois d'entendre l'ensemble des sessions à la base de ce chef d'œuvre, n'est pas le moindre des artisans dans cette indéniable réussite. Ce coffret pose néanmoins la question suivante : Qu'apporte-t-il de plus à l'achat du simple album que nous ne connaissions déjà ?
Tout d'abord, il permet de réentendre, des morceaux du chef d'œuvre gémellaire à " In a silent way ", " Filles de kilimandjaro ", diamant brut où sur la pochette trône la superbe Betty Davis, responsable en partie du virage électrique de son mari. Il nous donne aussi à entendre, l'ensemble à défaut d'intégrale( ?) des sessions qui, si elles n'apportent pas grand chose, permettent néanmoins de rendre à césar ce qui appartient à césar, en l'occurrence à Teo Macero, le travail de réorganisation sonore de l'ensemble. Elles nous renseignent aussi, sur l'aspect réellement improvisé du tout et le génie de l'ensemble, lorsque l'on évalue le travail final au regard de l'ébauche des compositions de départ. Et là, la part de génie en revient à Miles et à chacun qui a su se fondre dans l'ensemble pour composer l'un des plus beaux monuments de la musique moderne.
Enfin, un inédit génial, " The ghetto walk " vient compléter, le reste, qui figurait auparavant éparpillé sur des disques jamais publiés en Compact. Ce morceau à lui tout seul, justifierait presque l'achat du coffret, s'il n'était pas enrichi comme d'habitude pour ces publications sous coffret, d'un livret passionnant et fourmillant d'anecdotes qui permettent d'entrer de plain-pied dans la légende, comme si l'on y était. Indispensable à toutes les discothèques idéales.

 
mise à jour : 14/03/01
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