Miles
Davis, the complete In a silent way sessions, sony, 2001.
Poursuivant
son travail de publication de l'uvre complète du
trompettiste de Saint Louis rehaussée d'inédits,
Sony publie cette fois l'une des pierres angulaires de son uvre.
L'une de celles qui n'a pas seulement bouleversée ses fans
mais surtout le monde de la musique en général.
Combien de musiciens, et pas seulement en jazz, vous diront que
ce disque est l'un des plus beaux du siècle, du moins l'un
des plus déroutants et riches jamais publiés.
Dans un superbe article, Lester Bangs, montre que cette richesse
repose en partie sur le mystère fascinant de la mélancolie
purement milesienne. Jamais achevée, ni définitive,
cette musique est profonde car elle laisse la porte ouverte à
toutes les suggestions possibles et surtout, elle ne se veut pas
définitive. Chacun est libre d'y lire ce qu'il veut et
surtout, cette musique laisse planer un esprit de liberté
rarement égalé en jazz après la mort de son
ancien complice John Coltrane.
Miles, pour la première fois et mieux encore que dans le
futur " Bitches Brew ", s'abandonne à la fée
électricité mais sans jamais y succomber totalement.
Pas moins de trois claviers viennent napper le fond sonore - qui
ne se laisse pas facilement appréhender écoutes
après écoutes : deux fender rhodes et un orgue rivalisant
d'invention et fait rare, d'écoute mutuelle, sans que jamais
l'un des musiciens ne cherche à voler la vedette à
ses partenaires - sur lequel les souffleurs dressent des improvisations
modales bouleversantes.
Miles est au meilleur de sa forme, tant dans le son que dans l'invention.
Wayne Shorter poursuit habilement son travail d'exploration mélodique,
cette fois au soprano. La rythmique brûle du feu de l'enfer
et nous envoûte : mention spéciale à Tony
Williams, comme toujours génial. Dressons une mention spéciale
au producteur, fait rarissime en jazz, Téo Macero, qui,
comme il nous est donné pour la première fois d'entendre
l'ensemble des sessions à la base de ce chef d'uvre,
n'est pas le moindre des artisans dans cette indéniable
réussite. Ce coffret pose néanmoins la question
suivante : Qu'apporte-t-il de plus à l'achat du simple
album que nous ne connaissions déjà ?
Tout d'abord, il permet de réentendre, des morceaux du
chef d'uvre gémellaire à " In a silent
way ", " Filles de kilimandjaro ", diamant brut
où sur la pochette trône la superbe Betty Davis,
responsable en partie du virage électrique de son mari.
Il nous donne aussi à entendre, l'ensemble à défaut
d'intégrale( ?) des sessions qui, si elles n'apportent
pas grand chose, permettent néanmoins de rendre à
césar ce qui appartient à césar, en l'occurrence
à Teo Macero, le travail de réorganisation sonore
de l'ensemble. Elles nous renseignent aussi, sur l'aspect réellement
improvisé du tout et le génie de l'ensemble, lorsque
l'on évalue le travail final au regard de l'ébauche
des compositions de départ. Et là, la part de génie
en revient à Miles et à chacun qui a su se fondre
dans l'ensemble pour composer l'un des plus beaux monuments de
la musique moderne.
Enfin, un inédit génial, " The ghetto walk
" vient compléter, le reste, qui figurait auparavant
éparpillé sur des disques jamais publiés
en Compact. Ce morceau à lui tout seul, justifierait presque
l'achat du coffret, s'il n'était pas enrichi comme d'habitude
pour ces publications sous coffret, d'un livret passionnant et
fourmillant d'anecdotes qui permettent d'entrer de plain-pied
dans la légende, comme si l'on y était. Indispensable
à toutes les discothèques idéales.
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