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Pour lancer son nouveau
label brésilien, Stern's sort quatre productions des studios YBrasil?
de São Paulo : un hommage à Luiz Gonzaga, le premier album
de Nação Zumbi depuis la mort de son leader Chico Science
ainsi que deux révélations, la chanteuse Andrea Marquee
et Rica Amabis.
Tous ces enregistrements
réalisés par le très pointu Mauricio Tagliari ont
donc quelque chose en commun dans le son et la démarche. La volonté,
par exemple, de conjuguer la musique populaire brésilienne au présent,
en s'appuyant sur des samples ou des scratches, et des beats, tantôt
discrets, tantôts en avant. Les appelations vont bon train : drum'n
sambass, sambadelic, s.amb.a (pour Serviço Ambulante de Afrociberdelia),
ou mangue-beat devenu manguetronic, tout ça pour reprendre les
termes mêmes utilisés par les intéressés pour
évoquer leur musique, faites votre choix !
Pour Andrea Marquee, notre préférée et la
plus accessible, les choses sont simples, l'an 2000 a un très fort
goût de 1969. Sur Zumbi, le premier album de cette
ancienne actrice de théâtre, si des beats et des grooves
modernes sous-tendent la musique discrètement, ils sont mêlés
au "son" rock du psychédélisme brésilien
de la fin des 60's, cf. par exemple Gal de Gal Costa (1969), guitares
stridentes en avant. Une belle voix claire et sensuelle, des reprises
de Caetano Veloso et Jorge Ben ou Zeca Pagodinho pour les bonnes références,
des compos à la hauteur, des arrangements riches et raffinés,
des bribes de funk "à la Fernanda" : un album sans failles,
addictif. Qui ressemblerait peut-être au premier disque que ferait
Marisa Monte si elle commençait sa carrière aujourd'hui
(?). Peut-être la vraie révélation de l'année.
Ancien ingénieur du son, Rica Amabis signe également
ses débuts avec Sambadelic. Il revisite par les samples
le funk 70's de Tim Maia ou Jorge Ben, glisse des échos de berimbau
et sous-tend le tout de furieux beats drum'n bass, convie la guitare brésilienne,
des toasters raggamuffin, des flutes et clarinettes, en gardant pour fil
conducteur l'interrogation sur ce qui "fait" le samba.
Nação
Zumbi est un groupe "historique" pour avoir participé,
en accompagnant Chico Science, à l'émergence d'une scène
électronique à Récife. La ville était alors
plongée profond dans la morosité pour être le champion
national du plus fort taux de chômage et d'inflation des dix dernières
années. Ràdio S.amb.a. (Radio Serviço Ambulante
de Afrociberdelia) signe leur retour. Si, hormis Jorge du Peixe,
Toca, Pupilo ou Jackson Bandeira (entretemps parti jouer du heavy-metal
avec le Soulfly de Max Cavallera, l'ex-leader de Sepultura), visiblement
il ne reste plus grand monde de la formation originale, musicalement,
le groupe a mûri, c'est indéniable. Aux paroles et au rap,
Pixel 3000 renoue avec le style de Chico Science (qui était, ceci
dit, loin des prouesses vocales).
Mais on regrette de ne pas retrouver la richesse conceptuelle qu'il avait
donné au "Manifesto Caranguejos com Cerebro" des débuts,
sur l'album Da Lama ao Caos (de la boue au chaos, ndla), ou à la
notion d' Afrociberdelia sur le suivant. C'est ce syncrétisme de
cultures régionales et globales, tant au niveau musical que du
discours, qui faisait dire à Arto Lindsay que Chico était
vraiment parvenu à créer une uvre unique dans le paysage
musical brésilien, une uvre réellement "synthétique".
La musique de Nação Zumbi elle-même semble marquée
par son environnement : un de leurs éléments distinctifs
est ce son lourd des guitares et des tambours, comme s'ils étaient
eux-mêmes englués dans la boue des mangroves.
Ce retour est, en tout cas, une très bonne surprise car Nação
Zumbi a su évoluer, joue mieux, produit mieux, tout en conservant
son identité musicale, cette fameuse lourdeur, poisseuse, boueuse.
On regrettera d'autant plus que Chico Science n'ait pas eu l'occasion
d'être accompagné par le groupe à ce stade de son
développement musical.
Enfin,
par la même clique (plus Otto, Mundo Livre s/a, Mestre Ambrosio
de la jeune scène, ou le maître des percus savantes Nana
Vasconcelos), hommage à Luiz Gonzaga : Baião de viramundo.
Derrière sa dégaine pittoresque de cangaceiro débonnaire
à l'inséparable accordéon, le "roi du baião"
a réellement marqué la musique populaire brésilienne,
alignant les succès depuis les années quarante jusqu'à
sa mort en 1989. Ses forros, baiões, xaxotas ont notamment influencé
les Tropicalistes Gil et Caetano, sensibles à cet authentique folklore
nordestin. Grâce à lui, le baião fut de tous les juke-boxes,
ceux par exemple qu'évoque Edgar Morin dans L'Esprit du temps,
en faisant une sorte de petit cousin du cha-cha dans la vague "typique"
de ces années-là.
Pour cet hommage, si à l'occasion on retrouve bien le triangle
et la zabumba pour poser les rythmes, guère de traces de l'accordéon.
Et à part certaines reprises plus "traditionnelles" (acoustiques),
le traitement est radicalement contemporain. La scène électronique
brésilienne la plus créative se trouvant du côté
de Récife (Pernambouc), on verra alors deux époques nordestines
se rejoindre pour ce tribut. Et les samples de la voix de Gonzaga lui-même,
loin du pillage morbide dont fut victime Bob Marley, en conférant
une émotion intacte et lointaine à la fois, participent
à la vocation d'entretien de la mémoire collective que peut
avoir parfois l'art du sampling dans le hip-hop.
Ces quatre albums nous montre en tout cas comment avancer sans perdre
de vue ses racines.
Olivier Cathus
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