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SAMBADELIC EN CURE INTENSIVE

Olivier Cathus


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Pour lancer son nouveau label brésilien, Stern's sort quatre productions des studios YBrasil? de São Paulo : un hommage à Luiz Gonzaga, le premier album de Nação Zumbi depuis la mort de son leader Chico Science ainsi que deux révélations, la chanteuse Andrea Marquee et Rica Amabis.

Tous ces enregistrements réalisés par le très pointu Mauricio Tagliari ont donc quelque chose en commun dans le son et la démarche. La volonté, par exemple, de conjuguer la musique populaire brésilienne au présent, en s'appuyant sur des samples ou des scratches, et des beats, tantôt discrets, tantôts en avant. Les appelations vont bon train : drum'n sambass, sambadelic, s.amb.a (pour Serviço Ambulante de Afrociberdelia), ou mangue-beat devenu manguetronic, tout ça pour reprendre les termes mêmes utilisés par les intéressés pour évoquer leur musique, faites votre choix !


Pour Andrea Marquee, notre préférée et la plus accessible, les choses sont simples, l'an 2000 a un très fort goût de 1969. Sur Zumbi, le premier album de cette ancienne actrice de théâtre, si des beats et des grooves modernes sous-tendent la musique discrètement, ils sont mêlés au "son" rock du psychédélisme brésilien de la fin des 60's, cf. par exemple Gal de Gal Costa (1969), guitares stridentes en avant. Une belle voix claire et sensuelle, des reprises de Caetano Veloso et Jorge Ben ou Zeca Pagodinho pour les bonnes références, des compos à la hauteur, des arrangements riches et raffinés, des bribes de funk "à la Fernanda" : un album sans failles, addictif. Qui ressemblerait peut-être au premier disque que ferait Marisa Monte si elle commençait sa carrière aujourd'hui (?). Peut-être la vraie révélation de l'année.


Ancien ingénieur du son, Rica Amabis signe également ses débuts avec Sambadelic. Il revisite par les samples le funk 70's de Tim Maia ou Jorge Ben, glisse des échos de berimbau et sous-tend le tout de furieux beats drum'n bass, convie la guitare brésilienne, des toasters raggamuffin, des flutes et clarinettes, en gardant pour fil conducteur l'interrogation sur ce qui "fait" le samba.


Nação Zumbi est un groupe "historique" pour avoir participé, en accompagnant Chico Science, à l'émergence d'une scène électronique à Récife. La ville était alors plongée profond dans la morosité pour être le champion national du plus fort taux de chômage et d'inflation des dix dernières années. Ràdio S.amb.a. (Radio Serviço Ambulante de Afrociberdelia) signe leur retour. Si, hormis Jorge du Peixe, Toca, Pupilo ou Jackson Bandeira (entretemps parti jouer du heavy-metal avec le Soulfly de Max Cavallera, l'ex-leader de Sepultura), visiblement il ne reste plus grand monde de la formation originale, musicalement, le groupe a mûri, c'est indéniable. Aux paroles et au rap, Pixel 3000 renoue avec le style de Chico Science (qui était, ceci dit, loin des prouesses vocales).
Mais on regrette de ne pas retrouver la richesse conceptuelle qu'il avait donné au "Manifesto Caranguejos com Cerebro" des débuts, sur l'album Da Lama ao Caos (de la boue au chaos, ndla), ou à la notion d' Afrociberdelia sur le suivant. C'est ce syncrétisme de cultures régionales et globales, tant au niveau musical que du discours, qui faisait dire à Arto Lindsay que Chico était vraiment parvenu à créer une œuvre unique dans le paysage musical brésilien, une œuvre réellement "synthétique". La musique de Nação Zumbi elle-même semble marquée par son environnement : un de leurs éléments distinctifs est ce son lourd des guitares et des tambours, comme s'ils étaient eux-mêmes englués dans la boue des mangroves.
Ce retour est, en tout cas, une très bonne surprise car Nação Zumbi a su évoluer, joue mieux, produit mieux, tout en conservant son identité musicale, cette fameuse lourdeur, poisseuse, boueuse. On regrettera d'autant plus que Chico Science n'ait pas eu l'occasion d'être accompagné par le groupe à ce stade de son développement musical.


Enfin, par la même clique (plus Otto, Mundo Livre s/a, Mestre Ambrosio de la jeune scène, ou le maître des percus savantes Nana Vasconcelos), hommage à Luiz Gonzaga : Baião de viramundo. Derrière sa dégaine pittoresque de cangaceiro débonnaire à l'inséparable accordéon, le "roi du baião" a réellement marqué la musique populaire brésilienne, alignant les succès depuis les années quarante jusqu'à sa mort en 1989. Ses forros, baiões, xaxotas ont notamment influencé les Tropicalistes Gil et Caetano, sensibles à cet authentique folklore nordestin. Grâce à lui, le baião fut de tous les juke-boxes, ceux par exemple qu'évoque Edgar Morin dans L'Esprit du temps, en faisant une sorte de petit cousin du cha-cha dans la vague "typique" de ces années-là.
Pour cet hommage, si à l'occasion on retrouve bien le triangle et la zabumba pour poser les rythmes, guère de traces de l'accordéon. Et à part certaines reprises plus "traditionnelles" (acoustiques), le traitement est radicalement contemporain. La scène électronique brésilienne la plus créative se trouvant du côté de Récife (Pernambouc), on verra alors deux époques nordestines se rejoindre pour ce tribut. Et les samples de la voix de Gonzaga lui-même, loin du pillage morbide dont fut victime Bob Marley, en conférant une émotion intacte et lointaine à la fois, participent à la vocation d'entretien de la mémoire collective que peut avoir parfois l'art du sampling dans le hip-hop.
Ces quatre albums nous montre en tout cas comment avancer sans perdre de vue ses racines.


Olivier Cathus