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BATATINHA, LE DIPLOMATE DE BAHIA.

Olivier Cathus


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Diplomacia est la reconnaissance tardive d’un auteur légendaire bahianais. Alors que sonne l’heure de gloire des pépés-caïds cubains du genre Compay Segundo, Ibrahim Ferrer and co, rendons un hommage hélas posthume à celui qui fut le grand " diplomate " de Bahia : Batatinha.

Mais Batatinha n’était pas un diplomate au sens propre, comme l’était Vinicius de Moraes. Batatinha avait élevé lui la diplomatie au rang d’art de vivre. La diplomatie en tant que dignité et courtoisie. Quant à poète, il l’est largement autant que l’auteur de "Felicidade" et, comme le remarque si justement Cid Teixeira dans le livret, nombre de poètes officiels donnerait tout pour avoir écrit de tels vers :
"Meu desespero ninguém vê / Sou diplomado em matéria de sofrer"
("Personne ne voit mon désespoir, je suis diplomate en matière de souffrance"). Ces vers-là et beaucoup d'autres mais toujours avec les mots les plus simples.
Car le grand talent de Batatinha est d'avoir su se mettre dans la peau de l'homme de la rue, du Bahianais de base et d'exprimer avec la plus grande émotion les peines qu'il cache derrière un sourire ou un pas de samba. Batatinha mieux que quiconque aura su évoquer cette énigme bahianaise, cette fameuse diplomatie qui est le secret de cette "Terra da felicidade". Le thème est récurrent dans nombre de ses chansons, la vie est imitation, illusion, ironie. Et si l'on ne veut pas pleurer, mieux vaut sourire de la tristesse. Et s'oublier dans la danse, comme dans le refrain de "Direito de sambar" par exemple : "É proibido sonhar então me deixe o direito de sambar" ("Il est interdit de rêver alors je m'accorde le droit de danser le samba").
En deux ou trois occasions, les thèmes sont franchement plus légers. Sur "Bêbê diferente", le vieil homme est irrésistible quand il se raconte en bébé jouisseur, biberonneur précoce d'aguardente et se vantant d'être déjà l'égal de son père. Ou encore sur "De revolver não", où on l'entend entouré de ses vieux potes, tous bien rigolards à l'évocation d'histoires de pêche.
On retrouve aussi bien entendu sur cet album "Hora da razão", certainement son morceau le plus connu et très fréquemment repris, de Caetano à Timbalada.
Quant à l'enregistrement lui-même, cette réception de l’ambassadeur est un succès. Le gratin est de la fête : Caetano, Gil, Chico Buarque et Bethânia, rien que ça. Tous y vont de leur hommage en reprenant, à chaque fois magnifiquement, une chanson du maître.
Pour l'accompagnement, le bon goût et la discrétion sont de mise. Très respectueux, Paquito a réalisé un enregistrement remarquable de finesse et de dépouillement, invitant parfois un violoncelle ou une flûte pour accompagner les indispensables guitares et pandeiro. Sans oublier la fidèle caixa de fosforos de Batatinha, sa boîte d’allumettes qui discrètement pose le rythme du morceau. Et c'est l'art de Batatinha d'accomoder les choses ou les mots les plus simples pour en tirer la plus grande émotion.

Batatinha, Diplomacia (EMI Brésil-1998)



Olivier Cathus