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LA VIEILLE GARDE ET SA RELÈVE

 

Olivier Cathus


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Sur le front de la musique carioca, se manifestent avec le même enthousiasme la vieille garde et la nouvelle avec, pour tendre un pont entre ces générations, Marisa Monte.


D'abord, du côté des jeunes et de la relève, Pedro Luis e A Parede. Cette bande de garnements brade tout comme l'indique le titre de leur deuxième album : È tudo um real (Warner Jazz). Leur musique, construite sur le principe du démontage de batterie auquel s'ajoute une foule d'instruments et ustensiles divers, zappe allègrement de tempos funky en guitares rock, de ska-valcade en fil rouge samba-tucada. Les rythmes d'aujourd'hui tournent en toute désinvolture, sans prise de tête mais avec un son calibré et une bonne humeur de mise.


La bonne humeur toujours, mais l'émotion en plus, voici la Velha Guarda da Portela, car il n’y a pas de raisons que les seuls Cubains jouissent du " papy boom " musical. Épatants et rayonnant sur scène (comme récemment à la Villette en compagnie de Paulinho da Viola), ces vieux de la vieille affiliés à l’Ecole de Samba de Portela, à Rio, chantent sur Tudo azul (Lusafrica) quelques perles de leur répertoire, en grande partie pour la première fois enregistrées.
En produisant leur disque, Marisa Monte, certainement-la-plus-brillante-artiste-féminine-brésilienne-du-moment (ouf !), a œuvré pour la préservation de ce patrimoine immense qui risquait de sombrer dans l'oubli à la disparition de leurs auteurs. Cette collaboration n'est pas une première puisqu'elle les avait déjà invités à l'accompagner quand elle reprit leur magnifique "Esta melodia", sur son album de 1994, Rose and charcoal, certainement un des plus beaux disques brésiliens de la décennie passée.
Ici la couleur est le bleu, bleu comme celui de Portela à qui la bande à Monarco (David do Pandeiro, Jair do Cavaquinho, Casemiro da Cuica, Paulaõ 7 Cordas, Dona Eunice, etc.) voue une dévotion sans failles, et bleu comme les bleus à l'âme qui ont forgés tant leur sagesse que leur allégresse. Comme chez Ibrahim Ferrer ou Omara Portuondo, les voix possèdent ce charme unique donné par les ans et le goût de la vie. Déjà un classique.


Sur Memories, chronicles and declarations of love (EMI), Marisa Monte nous sert un tout autre son de cloche. Sa culture samba est mise en retrait au profit d'une MPB sophistiquée, déjà pop internationale, interprétée par son fidèle All-Stars Band. Si l'on se souvient que son deuxième album s'appelait + (Mais, en v.o), on dira qu'ici, c'est Marisa + Arto Lindsay + sa clique new-yorkaise (Marc Ribot, etc.) + Carlinhos Brown + Arnaldo Antunes le rocker + des musiciens prestigieux comme Jaques Morelenbaum au violoncelle + une section de cordes, le tout enregistré à Rio + Salvador + New-York. Reste à savoir : le tout est-il supérieur à la somme de ses parties ? Autrement dit, sans vouloir en faire un devoir de maths pour les vacances, a-t-elle réussi par l'opération du charme musical à changer une simple addition en multiplication ? La réponse est (tout simplement) que Marisa Monte est l'= des plus grandes.
Sa voix si haute est toujours aussi belle et cultive avec classe la mélancolie sur le thème des amours impossibles. Thème récurrent de la présente collaboration avec Carlinhos Brown, dont on sait la grande complicité artistique qui l'unit à Marisa Monte. C'est elle, par exemple, qui produisit l'album de Brown, après qu'ils aient longuement joué et sélectionné les chansons du prolifique bonhomme dans son garage, avant de passer en studio. Dans l'esprit des escapades en crooner de son Omelete man, il signe (ou co-signe) plus d'un tiers des morceaux et, pour plaire à la belle, se montre ici sous son jour romantique.
Les "declarations of love" de Marisa Monte se dévoilent lentement, avec élégance et retenue, chaque écoute nous révèlant un peu des charmes de ces chansons sentimentales qui anoblissent le moindre transistor.


Olivier Cathus