POETE
MOTS-DITS
Pour
Amethyst Rockstar (Columbia), son 1er album,
Saul Williams n'y va pas avec le dos de la cuillère, il
frappe fort d'entrée. Révélé par le
film Slam, qu'il avait co-écrit et où il
tenait la vedette, il faisait découvrir au grand public
cette forme de poésie urbaine scandée. Mais le caractère
urbain est réducteur pour évoquer l'inspiration
du poète Saul Williams. S'ils s'inspirent d'une réalité
contemporaine, ses spoken words, ses mots-dits sont surtout incantatoires
et portés par un élan mystique : "Dear Goddess,
we make this breakbeat just for you, as an offering". Plus
exactement, Saul Williams refuse la coupure entre les mots de
l'esprit et l'esprit des mots. Son ambition est de faire rimer
l'âme et l'esprit : "my purpose is to make my soul
rhyme with my mind".
De même musicalement, attendu avec un album "strictly
hip-hop", Saul Williams surprend son monde et, si son flow
n'a rien à envier à quelque rappeur que ce soit,
il ne peut se restreindre au seul hip-hop. Il utilise la métaphore
d'un adolescent qui serait mis au régime d'un jeune enfant
et verrait sa croissance perturbée pour dénoncer
l'influence des standards et normes sur la créativité,
sur fond de décharge rythmique drum'n bass ("Coded
Language", réalisé avec Dj Krust, l'acolyte
de Roni Size). Il opte pour le tranchant du rock le plus tendu.
Le choix de l'habile Rick Rubin à la production, aussi
à l'aise avec le rap de Run DMC que la fusion des Red Hot
Chili Peppers, contribue à tendre dans un même élan
le rock et le hip-hop. Comme chez D'Angelo ou le génial
rappeur Mos Def l'an passé, on croise l'esprit de feu Jimi
Hendrix que la communauté afro-américaine se réapproprie,
tout comme un certain pan de l'histoire du rock, sa part noire,
que la voie du "strictly hip-hop" abandonne au "blanchissement".
De
bout en bout, Amethyst Rockstar brûle d'une tension
permanente, nous attaque de sons lourds qui viennent poser leur
chappe sur nos poitrines. Le débit de Saul Williams lui-même,
les rythmiques, les basses profondes mais aussi les guitares,
et même les cordes (viole et violoncelle), préfèrent
le grinçant au sirupeux.
La langue de Saul Williams est riche, mêle l'anglais le
plus classique à l'argot contemporain, ses références
couvrent les siècles, de Shakespeare à Old Dirty
Bastard, le déjanté rappeur de Wu-Tang Clan. Les
mots de Saul Williams récompenseront celui qui aura la
patience de les décortiquer (ils sont écrits tout
petit). Mais, déjà, sans la lecture, l'écoute
se suffit à elle-même : il n'y a qu'à se laisser
porter par le courant verbal. S'il compare ses textes à
des équations rythmiques, nul doute que le poète
Saul Williams n'en restera pas longtemps l'inconnue.
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