Chronique Date : 15 mai 2001 par Olivier Cathus

POETE MOTS-DITS

Pour Amethyst Rockstar (Columbia), son 1er album, Saul Williams n'y va pas avec le dos de la cuillère, il frappe fort d'entrée. Révélé par le film Slam, qu'il avait co-écrit et où il tenait la vedette, il faisait découvrir au grand public cette forme de poésie urbaine scandée. Mais le caractère urbain est réducteur pour évoquer l'inspiration du poète Saul Williams. S'ils s'inspirent d'une réalité contemporaine, ses spoken words, ses mots-dits sont surtout incantatoires et portés par un élan mystique : "Dear Goddess, we make this breakbeat just for you, as an offering". Plus exactement, Saul Williams refuse la coupure entre les mots de l'esprit et l'esprit des mots. Son ambition est de faire rimer l'âme et l'esprit : "my purpose is to make my soul rhyme with my mind".
De même musicalement, attendu avec un album "strictly hip-hop", Saul Williams surprend son monde et, si son flow n'a rien à envier à quelque rappeur que ce soit, il ne peut se restreindre au seul hip-hop. Il utilise la métaphore d'un adolescent qui serait mis au régime d'un jeune enfant et verrait sa croissance perturbée pour dénoncer l'influence des standards et normes sur la créativité, sur fond de décharge rythmique drum'n bass ("Coded Language", réalisé avec Dj Krust, l'acolyte de Roni Size). Il opte pour le tranchant du rock le plus tendu. Le choix de l'habile Rick Rubin à la production, aussi à l'aise avec le rap de Run DMC que la fusion des Red Hot Chili Peppers, contribue à tendre dans un même élan le rock et le hip-hop. Comme chez D'Angelo ou le génial rappeur Mos Def l'an passé, on croise l'esprit de feu Jimi Hendrix que la communauté afro-américaine se réapproprie, tout comme un certain pan de l'histoire du rock, sa part noire, que la voie du "strictly hip-hop" abandonne au "blanchissement".
De bout en bout, Amethyst Rockstar brûle d'une tension permanente, nous attaque de sons lourds qui viennent poser leur chappe sur nos poitrines. Le débit de Saul Williams lui-même, les rythmiques, les basses profondes mais aussi les guitares, et même les cordes (viole et violoncelle), préfèrent le grinçant au sirupeux.
La langue de Saul Williams est riche, mêle l'anglais le plus classique à l'argot contemporain, ses références couvrent les siècles, de Shakespeare à Old Dirty Bastard, le déjanté rappeur de Wu-Tang Clan. Les mots de Saul Williams récompenseront celui qui aura la patience de les décortiquer (ils sont écrits tout petit). Mais, déjà, sans la lecture, l'écoute se suffit à elle-même : il n'y a qu'à se laisser porter par le courant verbal. S'il compare ses textes à des équations rythmiques, nul doute que le poète Saul Williams n'en restera pas longtemps l'inconnue.

 
mise à jour : 07/11/01
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