Chronique Date : 11 avril 2001 par Olivier Cathus

Un air de famille…

Dans la famille Veloso, j'appelle le père et le fils (laissons de côté tata Maria Bethânia) : Caetano et Moreno. Avec chacun un magnifique album, ils ne font pas mentir l'adage ataviste "tel père, tel fils".
Moreno d'abord. Si l'Œdipe des "fils de" est bien le cadet de nos soucis, on imagine néammoins sans peine la pression sur ses épaules, avant de sortir ce 1er album : difficile d'être le fils d'un artiste aux mille superlatifs. Sans brûler les étapes ni perdre son temps en chemin (il a bouclé son doctorat de physique), le fiston a attendu 28 ans pour nous offrir ce Music Typewriter (Hannibal/Naïve) d'une belle fraîcheur et d'un rare talent. Moreno y démontre qu'il a assumé son patrimoine sans le renier. Il est vrai que deux petites secondes suffisent à identifier la parenté tant on croirait la voix de son père jeune.
D'ailleurs, ce n'est pas d'hier qu'il participe aux disques de Caetano. En 1982, il lui donnait déjà la réplique de sa voix d'enfant pour rendre hommage au bloc afro Ilê Aiyê ("Um canto de afoxé para o bloco do Ilê"). Caetano (dans un accès de fierté paternelle ?) le crédita même comme auteur des paroles. Après que la mue fut venue, en 1991, le beau duo "Itapuã" révèlait dans sa voix cet indéniable air de famille. Comme instrumentiste, on le croisait de ci de là, au violoncelle et aux percussions. L'étape suivante était que Caetano reprenne une de ces compositions et lui en confie les arrangements : "How Beautiful Could A Being Be" (bande-son des films Adidas lors des J.O. de Sydney). Enfin, sur le récent Noites do Norte, Moreno arrange et interpréte "13 de maio".
Si ces deux derniers essais laissent deviner le goût de Moreno pour les ambiances afros, et leurs guitares en boucle, confirmé ici sur "O Livro e o Beijo", en bon disciple d'un Tropicalisme du nouveau millénaire, il ne se limite pas à un genre, il pioche à l'aise : funk, bossa, boléro, rock, reprises rétro ("So vendo que beleza", un morceau de 1942) et clin d'œil ("I am wishing", extrait de Blanche Neige).
Si, avec ses amis +2 (Kassin et Domenico), ils glissent dissonances et divers effets sonores dans sa musique, avant tout, Moreno maîtrise ses fondamentaux, guitare et voix, et peut oser de belles interprétations en solo qui soutiennent la comparaison écrasante avec celles, uniques, de son paternel (au même âge). Il partage également la même aisance à s'approprier un morceau pour en magnifier la mélodie, comme ce magique "Deusa do Amor", extrait du répertoire d'Olodum où au lieu de la tonitruante batucada originale, il substitue une simple guitare et de discrets raclements. Un coup d'essai, déjà coup de maître.


Quant à Caetano, il témoigne avec Noites do Norte (Universal) de sa continuité au firmament. Alors que Livro, le précédent opus, voyait culminer son goût pour les orchestrations d'orfèvre, sur des arrangements de Jacque Morelenbaum, ce 34ème album semble au premier abord plus spontané. Plus dépouillé mais toujours tout en subtilités et petites finesses. Morelenbaum ne participe qu'à la moitié des titres. Caetano, qui toujours évolue et se renouvelle, a-t-il senti que cette collaboration enfermait son inspiration dans le "joli" ? Gage d'un retour à des formes plus brutes, Noites do Norte s'ouvre sur une intro de batterie, mixée bien en avant, qui pose le débat sur les meilleures bases. Dans cette optique du resserrement sur l'essentiel, Caetano, s'il reste attaché aux racines afro-bahianaises et accorde aux percussions une place de choix, se lance aussi bien dans un tendu "Rock'n'Raul", en trio basse-guitare-batterie, qu'il se montre fidèle à son goût pour l'interprétation en solo, minimaliste mais toujours ô combien somptueuse, avec le "Tempestades Solares" de fin. Au rayon reprise, même du "Zumbi", 100 fois repris, de l'inusable Jorge Ben, il parvient encore à offrir une interprétation originale et raffinée. Une telle constance dans l'excellence est tout simplement exceptionnelle, chapeau bas.


Enfin, après les Veloso et pour boucler ce tour d'horizon bahianais, comment ne pas signaler Bahia do Mundo, Mito e verdade (Delabel), le 3ème album de Carlinhos Brown, "l'ange-conducteur" du Carnaval de Bahia. En comparaison des Veloso, le travail de Brown nous semble cette fois prévisible, alors que, bouillonnant (et brouillonnant) le bonhomme ne l'est guère. Ca sort quand même du lot et reste du bien bon, avec son lot de percussions en fête, ses rythmiques où Brown tape sur tout ce qui passe, mais on y trouve peut-être moins d'aspérités, de folie et de génie que sur les 2 précédents.

 

 

 
mise à jour : 07/11/01
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