Un
air de famille
Dans
la famille Veloso, j'appelle le père et le fils (laissons
de côté tata Maria Bethânia) : Caetano et Moreno.
Avec chacun un magnifique album, ils ne font pas mentir l'adage
ataviste "tel père, tel fils".
Moreno d'abord. Si l'dipe des "fils de" est bien
le cadet de nos soucis, on imagine néammoins sans peine
la pression sur ses épaules, avant de sortir ce 1er album
: difficile d'être le fils d'un artiste aux mille superlatifs.
Sans brûler les étapes ni perdre son temps en chemin
(il a bouclé son doctorat de physique), le fiston a attendu
28 ans pour nous offrir ce Music Typewriter (Hannibal/Naïve)
d'une belle fraîcheur et d'un rare talent. Moreno y démontre
qu'il a assumé son patrimoine sans le renier. Il est vrai
que deux petites secondes suffisent à identifier la parenté
tant on croirait la voix de son père jeune.
D'ailleurs, ce n'est pas d'hier qu'il participe aux disques de
Caetano. En 1982, il lui donnait déjà la réplique
de sa voix d'enfant pour rendre hommage au bloc afro Ilê
Aiyê ("Um canto de afoxé para o bloco do Ilê").
Caetano (dans un accès de fierté paternelle ?) le
crédita même comme auteur des paroles. Après
que la mue fut venue, en 1991, le beau duo "Itapuã"
révèlait dans sa voix cet indéniable air
de famille. Comme instrumentiste, on le croisait de ci de là,
au violoncelle et aux percussions. L'étape suivante était
que Caetano reprenne une de ces compositions et lui en confie
les arrangements : "How Beautiful Could A Being Be"
(bande-son des films Adidas lors des J.O. de Sydney). Enfin, sur
le récent Noites do Norte, Moreno arrange et interpréte
"13 de maio".
Si ces deux derniers essais laissent deviner le goût de
Moreno pour les ambiances afros, et leurs guitares en boucle,
confirmé ici sur "O Livro e o Beijo", en bon
disciple d'un Tropicalisme du nouveau millénaire, il ne
se limite pas à un genre, il pioche à l'aise : funk,
bossa, boléro, rock, reprises rétro ("So vendo
que beleza", un morceau de 1942) et clin d'il ("I
am wishing", extrait de Blanche Neige).
Si, avec ses amis +2 (Kassin et Domenico), ils glissent dissonances
et divers effets sonores dans sa musique, avant tout, Moreno maîtrise
ses fondamentaux, guitare et voix, et peut oser de belles interprétations
en solo qui soutiennent la comparaison écrasante avec celles,
uniques, de son paternel (au même âge). Il partage
également la même aisance à s'approprier un
morceau pour en magnifier la mélodie, comme ce magique
"Deusa do Amor", extrait du répertoire d'Olodum
où au lieu de la tonitruante batucada originale, il substitue
une simple guitare et de discrets raclements. Un coup d'essai,
déjà coup de maître.
Quant à Caetano, il témoigne avec Noites do
Norte (Universal) de sa continuité au firmament.
Alors que Livro, le précédent opus, voyait
culminer son goût pour les orchestrations d'orfèvre,
sur des arrangements de Jacque Morelenbaum, ce 34ème album
semble au premier abord plus spontané. Plus dépouillé
mais toujours tout en subtilités et petites finesses. Morelenbaum
ne participe qu'à la moitié des titres. Caetano,
qui toujours évolue et se renouvelle, a-t-il senti que
cette collaboration enfermait son inspiration dans le "joli"
? Gage d'un retour à des formes plus brutes, Noites
do Norte s'ouvre sur une intro de batterie, mixée bien
en avant, qui pose le débat sur les meilleures bases. Dans
cette optique du resserrement sur l'essentiel, Caetano, s'il reste
attaché aux racines afro-bahianaises et accorde aux percussions
une place de choix, se lance aussi bien dans un tendu "Rock'n'Raul",
en trio basse-guitare-batterie, qu'il se montre fidèle
à son goût pour l'interprétation en solo,
minimaliste mais toujours ô combien somptueuse, avec le
"Tempestades Solares" de fin. Au rayon reprise, même
du "Zumbi", 100 fois repris, de l'inusable Jorge Ben,
il parvient encore à offrir une interprétation originale
et raffinée. Une telle constance dans l'excellence est
tout simplement exceptionnelle, chapeau bas.
Enfin, après les Veloso et pour boucler ce tour d'horizon
bahianais, comment ne pas signaler Bahia do Mundo, Mito
e verdade (Delabel), le 3ème album de Carlinhos
Brown, "l'ange-conducteur" du Carnaval de Bahia. En
comparaison des Veloso, le travail de Brown nous semble cette
fois prévisible, alors que, bouillonnant (et brouillonnant)
le bonhomme ne l'est guère. Ca sort quand même du
lot et reste du bien bon, avec son lot de percussions en fête,
ses rythmiques où Brown tape sur tout ce qui passe, mais
on y trouve peut-être moins d'aspérités, de
folie et de génie que sur les 2 précédents.
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