Chronique Date : 14 mars 2001 par Olivier Cathus

WORLD WIDE BLED
(Oriental Mix, 1er volet)


U-cef, Halalium (Apartment 22)
Digital Bled, Caravana (Saint-Georges - Columbia)
Rachid Taha, Made in Medina (Barclay - Universal)

À observer régulièrementla vie des musiques, force est de reconnaître qu'il est très souvent question de mélange des genres, de panaché d'influences, de métissages… De mosaïques et de fusions. Sans jouer les devins à l'esbrouffe, que seront les musiques de ce XXIème siècle naissant ? Ce qui est certain, c'est que des étiquettes vont valser, des genres établis passer à la moulinette et que des rythmes urbains vont venir secouer des formes traditionnelles. Que sur l'atlas géo-musicologique, les frontières entre les styles musicaux seront plus floues.
Nous allons donc consacrer deux chroniques au front le plus agité, là où s'entrechevauchent la world-music et la techno, la bouillonnante zone orientale des musiques électros-ethnos, l'ethnotek dirons-nous pour reprendre le nom de soirées parisiennes, agitatrices de cette zone. Marshall McLuhan annonçait l'orientalisation du monde, nul doute que son global village est devenu un global bled, ou la globale médina de quelque mégalopole, où les musiques traditionnelles résonnent sur des boucles rythmiques programmées, où le chant des origines s'échappe d'un haut-parleur, et où les tontons du bled et les mamas de la médina virent électros. Avant de consacrer, à l'occasion du nouvel album de Talvin Singh, un 2ème volet aux musiciens originaires d'Inde ou du Pakistan, évoquons les musiques maghrébines de quelques agités du glocal.
À commencer par U-cef, surnommé le "Talvin Singh d'Afrique du Nord" par la presse anglaise. Ce Millenium sera-t-il halal ? Un Halalium ? C'est en tout cas ce qu'il affirme avec le titre de son album (Apartment 22). Ce Marocain bourlingueur, installé à Londres après avoir vécu à Paris et New-York, réussit la rencontre des musiques marocaines et des rythmiques drum'n bass. Adoptant la même démarche que Talvin Singh, il mêle musiciens et samples sur ses boucles, le chœur des femmes de Tagazoot y croise des bribes de rap, en français, en arabe et en anglais. Il nous explique sa manière de faire : "Si tu sais comment l'utiliser, la drum'n bass peut marcher partout. Le plus dur, c'est sur les rythmes ternaires. J'ai essayé avec les chants des femmes de Tagazoot, sur des rythmes ternaires et même plus complexes, sur des 7, sur des 5. Je n'ai pris que les voix et je les ai utilisé sur un rythme de drum'n bass. C'est une exception, avec aussi un morceau qui s'appelle "HalalMonK", où je joue les castagnettes, les karkabous, et qui est ternaire, et ça marche. Ca dépend où tu te places. Tu peux très bien te placer au mauvais endroit comme tu peux trouver le bon". Mais l'intérêt du travail de U-cef dépasse largement l'art de caler ses beats. Il donne une riche texture à sa musique par un travail sur le son lui-même et en élargissant ses influences : "les influences, c'est ouvert, universel. Pour moi, l'imporant, c'est le son, si tu as une idée et que ça marche, tu la gardes. Il y a de tout : de l'électronique, des samples, des platines, n'importe quoi… Même les bruits de feedback, de distorsion peuvent être utilisés, ça dépend comment ça sonne. Il faut essayer : c'est expérimental et très très large". Loin d'être juste une collection de rythmiques qui arrachent, Halalium nous offre de vrais morceaux, aussi envoûtants que certains produits locaux.


Autre réussite dans la même veine, celle de Digital Bled, d'ailleurs programmé le même soir que U-cef lors du dernier festival des Belles Nuits du Ramadan. Emmené par DJ Pedro (parisien d'origine portugaise), Digital Bled conduit sa Caravana (Saint-Georges/Columbia) à l'allure nonchalante du pas d'un dromadaire. Sur fond de breakbeats, les samples d'instrumentaux et de chants traditionnels, auxquels se mêlent parfois un berimbau brésilien, une basse ou un saxo, nous conduisent vers une paisible oasis sonore où il fait bon flaner.

Comment, enfin, ne pas évoquer le Made in Medina (Barclay) de Rachid Taha ? Depuis "La Rhoromanie", refusant d'être une icône générationnelle et communautaire et d'endosser ce carcan de notoriété, il n'a de cesse de tracer sa voie en franc-tireur. Soutenu par l'Anglais Steve Hillage à la production, il s'aventure depuis longtemps en territoires techno-électros, met du rock dans le chaâbi, enregistre une rythmique funky à la Nouvelle-Orléans, rajoute des percussions orientales enivrantes, collabore avec Femi Kuti sur un titre, et chante toujours l'émotion plutôt que le joli. Plus proche du raï trad' des cheikhattes que de celui policé des jeunes frérots Faudel et Farès, Rachid Taha se retrouve toujours là où ça gratte, ça rape et ça arrache.
La médina étend ses ruelles tentaculaires sur le monde, le bled couvre la planète, world wide bled. À suivre…

 
mise à jour : 07/11/01
www.gredin.com
Contact :