WORLD
WIDE BLED
(Oriental Mix, 1er volet)
U-cef, Halalium (Apartment 22)
Digital Bled, Caravana (Saint-Georges - Columbia)
Rachid Taha, Made in Medina (Barclay - Universal)
À
observer régulièrementla vie des musiques, force
est de reconnaître qu'il est très souvent question
de mélange des genres, de panaché d'influences,
de métissages
De mosaïques et de fusions. Sans
jouer les devins à l'esbrouffe, que seront les musiques
de ce XXIème siècle naissant ? Ce qui est certain,
c'est que des étiquettes vont valser, des genres établis
passer à la moulinette et que des rythmes urbains vont
venir secouer des formes traditionnelles. Que sur l'atlas géo-musicologique,
les frontières entre les styles musicaux seront plus floues.
Nous allons donc consacrer deux chroniques au front le plus agité,
là où s'entrechevauchent la world-music et la techno,
la bouillonnante zone orientale des musiques électros-ethnos,
l'ethnotek dirons-nous pour reprendre le nom de soirées
parisiennes, agitatrices de cette zone. Marshall McLuhan annonçait
l'orientalisation du monde, nul doute que son global village est
devenu un global bled, ou la globale médina de quelque
mégalopole, où les musiques traditionnelles résonnent
sur des boucles rythmiques programmées, où le chant
des origines s'échappe d'un haut-parleur, et où
les tontons du bled et les mamas de la médina virent électros.
Avant de consacrer, à l'occasion du nouvel album de Talvin
Singh, un 2ème volet aux musiciens originaires d'Inde ou
du Pakistan, évoquons les musiques maghrébines de
quelques agités du glocal.
À commencer par U-cef, surnommé le "Talvin
Singh d'Afrique du Nord" par la presse anglaise. Ce Millenium
sera-t-il halal ? Un Halalium ? C'est en tout cas
ce qu'il affirme avec le titre de son album (Apartment 22). Ce
Marocain bourlingueur, installé à Londres après
avoir vécu à Paris et New-York, réussit la
rencontre des musiques marocaines et des rythmiques drum'n bass.
Adoptant la même démarche que Talvin Singh, il mêle
musiciens et samples sur ses boucles, le chur des femmes
de Tagazoot y croise des bribes de rap, en français, en
arabe et en anglais. Il nous explique sa manière de faire
: "Si tu sais comment l'utiliser, la drum'n bass peut marcher
partout. Le plus dur, c'est sur les rythmes ternaires. J'ai essayé
avec les chants des femmes de Tagazoot, sur des rythmes ternaires
et même plus complexes, sur des 7, sur des 5. Je n'ai pris
que les voix et je les ai utilisé sur un rythme de drum'n
bass. C'est une exception, avec aussi un morceau qui s'appelle
"HalalMonK", où je joue les castagnettes, les
karkabous, et qui est ternaire, et ça marche. Ca dépend
où tu te places. Tu peux très bien te placer au
mauvais endroit comme tu peux trouver le bon". Mais l'intérêt
du travail de U-cef dépasse largement l'art de caler ses
beats. Il donne une riche texture à sa musique par un travail
sur le son lui-même et en élargissant ses influences
: "les influences, c'est ouvert, universel. Pour moi, l'imporant,
c'est le son, si tu as une idée et que ça marche,
tu la gardes. Il y a de tout : de l'électronique, des samples,
des platines, n'importe quoi
Même les bruits de feedback,
de distorsion peuvent être utilisés, ça dépend
comment ça sonne. Il faut essayer : c'est expérimental
et très très large". Loin d'être juste
une collection de rythmiques qui arrachent, Halalium nous
offre de vrais morceaux, aussi envoûtants que certains produits
locaux.
Autre
réussite dans la même veine, celle de Digital Bled,
d'ailleurs programmé le même soir que U-cef lors
du dernier festival des Belles Nuits du Ramadan. Emmené
par DJ Pedro (parisien d'origine portugaise), Digital Bled
conduit sa Caravana (Saint-Georges/Columbia) à
l'allure nonchalante du pas d'un dromadaire. Sur fond de breakbeats,
les samples d'instrumentaux et de chants traditionnels, auxquels
se mêlent parfois un berimbau brésilien, une basse
ou un saxo, nous conduisent vers une paisible oasis sonore où
il fait bon flaner.
Comment,
enfin, ne pas évoquer le Made in Medina (Barclay)
de Rachid Taha ? Depuis "La Rhoromanie", refusant
d'être une icône générationnelle et
communautaire et d'endosser ce carcan de notoriété,
il n'a de cesse de tracer sa voie en franc-tireur. Soutenu par
l'Anglais Steve Hillage à la production, il s'aventure
depuis longtemps en territoires techno-électros, met du
rock dans le chaâbi, enregistre une rythmique funky à
la Nouvelle-Orléans, rajoute des percussions orientales
enivrantes, collabore avec Femi Kuti sur un titre, et chante toujours
l'émotion plutôt que le joli. Plus proche du raï
trad' des cheikhattes que de celui policé des jeunes frérots
Faudel et Farès, Rachid Taha se retrouve toujours là
où ça gratte, ça rape et ça arrache.
La médina étend ses ruelles tentaculaires sur le
monde, le bled couvre la planète, world wide bled.
À suivre
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