le gredin


La bonne recette DUPAIN
Entretien réalisé le 24 mai

Olivier Cathus


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Un tambourin, une vielle à roue, des boucles électroniques, des textes sur le travail à l'usine et la condition ouvrière d'auteurs ouvriers, écrits entre la fin du XIXème et le début du Xxème siècle, un chant occitan envoûtant : la recette de ces jeunes marseillais s'est rodée sur scène. Leur premier album est sorti chez Virgin.

 

 

J’ai vu que vous utilisiez le terme de "trad’innovation" pour décrire votre musique…


Sam Karpienia : Oui parce qu’on savait pas comment définir l’histoire donc c’est un concept qui existait déjà. C’est un ami à nous, Jacques Lombard, qui a inventé ce concept qui situe bien ce qu’on fait nous. Un pont entre peut-être des musiques traditionnelles et l’innovation, les musiques innovatrices, quelque part un peu dans la recherche. Parce qu’avant, nous, on faisait de la musique expérimentale, tu vois un peu ? Et après on a arrêté. On a fait de la musique traditionnelle plus ou moins. Moi j’ai fait un groupe, Gacha Empega, des polyphonies marseillaises. Donc on chantait vraiment les chansons provençales d’il y a longtemps. Et après on s’est remis à travailler avec Dupain et ça a donné ça, en fait. Toujours une idée de recherche mais l’inspiration, elle, vient de la musique traditionnelle. Des musiques traditionnelles présentes à Marseille.

Sam de Agostini : C’est un mélange de tout ce qu’on a fait, de tout ce qu’on a écouté.


Vous sentez vous des affinités avec le mouvement folk ou trad’ des années 70 ?


S.K. : Disons que, moi, quand j’ai besoin d’écouter de la musique provençale, je vais écouter les Mont-Joia. Il y a 4 disques qui ont été faits dans ces années-là. Parce qu’ils ont refait la musique provençale, vraiment provençale, mais avec l’énergie de la musique populaire.
Ah oui ? Je m'en souviens bien, ma mère les écoutait quand j’étais môme…
S.K. : Je les ai écoutés récemment là, à Salabru. Et donc, dans Mont-Joia tu as le chanteur, Mario Carlotti, qui est un ami à nous. C’est quelqu’un qui dès le début m’a encouragé à chanter, tu vois. Il m’a aussi suivi. Il est courant de ce que je fais, et réciproquement. Même si musicalement ça n’a rien à voir.
S. A. : Il y a des gens qui sont issus de ce mouvement et qui sont des amis, y’a des musiques là-dedans qu’on écoute mais on s’est pas dit à un moment donné qu’on allait faire la même chose.
S.K. : On n’est plus dans le même état d’esprit. Automatiquement, ce n’est pas du tout la même chose. Nous, on n’a jamais brandi de drapeau en concert et on le fera pas je pense. On n’a pas un discours militant occitan, d’Occitanie, de culture occitane. Notre discours, il est un discours social et des problèmes de société.


Justement, beaucoup de ces groupes folks et trad’ renvoyaient à une image plus ou moins rurale, tandis que vous, vous êtes en plein dans un discours urbain, ouvrier plus que paysan.


S.K. : Ouais, voilà, on vient de là.
S.A. : On n’a pas écouté les mêmes choses non plus, on a écouté des musiques avec du son, du gros son. Je jouais du rock.
S.K. : Il faisait les ragabaléti dans les campagnes, ils cherchaient le blues rural dans les campagnes. Nous, on n’a pas besoin de bouger : on est dans un port et tout te vient dans la tête. Tu as pas besoin d’aller chercher ailleurs. Tout est là et l’urbanité est présente. Moi, je suis de Port-de-Bouc, donc un paysage industriel. Tout ça, ça forme une identité, entre guillemets le terme d’identité je m’en méfie toujours un peu. Mais, en même temps, tous ces gens-là des années 70 qui continuent à faire de la musique parce qu’ils ont du talent et que c’était pas seulement une mode, Jean-Marie Carlotti, Patrick Vaillant, Mickey Lontanao, René Sète. C’est des gens qu’on a rencontré, avec qui on a échangé des choses. Même avec Claude Sicre, lui il a fait les deux générations carrément. La Talverne de l’Aveyron aussi. Donc il y a une transmission quand même, y’a un fil cond…, y’a toujours un truc qui existe qui fait qu’on est au courant, qu’on les connaît tous ces gens-là mais on n’est pas de la même génération et on fait avec notre vécu à nous.


Concrètement la transmission, votre apprentissage de ces musiques, s’est passée comment ? Il y a des musiciens qui vous ont montré des trucs, ou des plus anciens, ou c’est surtout le côté autodidacte ?


S.K. : Concrètement, y’a pas eu de collaboration. C’est plus dans les discussions.


Et par rapport à la langue occitane ?


S.K. : Moi déjà Jacques Lombard, je l’ai découvert quand j’étais à la fac. Et il m’a fait tout un historique de l’histoire de France revisitée du côté occitan. Et ça change tout. Y’a Glaudi Barsotti qui nous a donné tous les textes qu’on a, qu’on chante et ce mec, c’est un vieux bonhomme…
S.A. : Ouais, il a dans les 70 ans.
S.K. : C’est plus là-dedans qu’on a besoin de ces gens-là. Après, musicalement, on s’est fait tout seul. On a écouté du hard à l’époque, du funk, du reggae. On a grandi avec toutes ces musiques rock à fond. Le truc musiques populaires, folkloriques, c’est arrivé plus tard en fait.
Pierre-Laurent Bertolino : C’est aussi parce qu’on a écouté pas mal de musiques traditionnelles d’autres pays.
S.A. : Italiennes, espagnoles, marocaines, etc…
P.L.B. : De là, tu te dis : et qu’est-ce qu’il y a chez toi ?
S.K. : C’est ça, comme parcours, au début tu écoutes des trucs anglais ou américains, comme tous les jeunes. Après ça te nifle alors tu cherches un peu ce que c’est la musique alors tu commences à écouter des trucs tziganes. Tu as vu un mec qui joue du djembé alors tu vas écouter Youssou N’Dour, des trucs comme ça. Et puis, tu commences à te poser un peu la question de savoir un peu ce qu'est le folklore. Ces gens-là, tu les admires parce qu’ils ont une tradition à eux et, toi, tu te rends compte, à un moment donné que t’as rien. Parce qu’en Provence, la culture, elle est terminée. La culture provençale d’expression occitane, elle est conservée par des conservateurs qui jouent ça en défilé avec un folklore, c’est l’éco-musée quoi. Donc ça n’intéresse pas la jeunesse. Donc nous on a fait mix un peu de tout ce qu’on avait entendu et, en même temps, on s’est rendu compte qu’on baignait là-dedans depuis qu’on est minots. Lui, il était dans les Alpes, il écoutait les trucs là, la bourrée, le musette. Moi, j’étais à Port-de-Bouc, j’écoutais du flamenco. Il suffit de te promener à Marseille pour entendre…
S.A. : Tu marches dans Marseille, y’a un mec au 4ème étage il écoute du flamenco, dix mètres plus haut, y’a du raï à fond. Tu t’en imprègnes même si tu vas pas choper une rythmique ou une mélodie d’un truc mais ça rentre, c’est présent.
S.K. : Tout ça, ça va ressortir naturellement. C’est pas calculé…
S.A. : C’est pas du collage, pas cherché : " on va faire un truc marocain avec un truc un peu… ", non.
S.K. : C’est senti. C’est avec le cœur. On n’est pas là en train de calculer telle rythmique va aller bien avec ça. Ca sort des tripes, ça sort du cœur. Ca se passe.


Parmi ce qui semble vous tenir à cœur, il y a une certaine réappropriation de la culture populaire, ouvrière puisque la plupart des textes traite du rapport à l’usine…


S.A. : C’est un constat aussi.
S.K. : Tous les textes sont autour du travail à l‘usine, du travail de l’ouvrier, de la condition ouvrière, du regard porté sur les petites gens, les dominés. C’est l’histoire de la domination d’une classe sur une autre, d’une langue sur une autre. Moi, après je peux l’expliquer parce que je viens de là, je suis d’un milieu ouvrier, mon père était ouvrier, moi j’y ai travaillé moi-même, j’ai grandi dans une cité ouvrière, même une ville ouvrière. Après, ça c’est personnel, eux ils sont pas issus de là. Mais en même temps, ce discours-là on le porte ensemble, c’est ça qui est intéressant aussi. C’est pas un groupe de fils d’ouvriers qui s’est monté, c’est, à un moment donné, qu'on s’est rejoint sur un même projet et qu'on a dit : " on va défendre ce projet ".


Vous me disiez que vous n’étiez pas militants occitans mais est-ce que vous vous sentez plus proche du discours de certains mouvements sociaux et associatifs ?


S.K. : Oui, nous on est militants en tant que citoyens comme tout le monde devrait l’être, comme l’épicier du coin ou le barman qui a envie de faire bouger son quartier. Nous, on est beaucoup basés sur La Plaine, dès qu’il y a des fêtes de quartier, quand on nous demande de venir jouer pour des manifs, pour une cause, contre Le Pen, des trucs comme ça, on y va volontiers. Quand on fait des fêtes indépendantes dans des squatts anarchistes, on y va. Après il y a les animations, beaucoup. On s’implique chacun de sa personne, desfois c’est pas le groupe Dupain. On fait des sardinades, on va organiser des apéros sur la place, des repas de quartiers, y’a plein de choses qui se passent parce qu'on se dit, nous, que se qui va sauver le monde, on va dire, c’est la convivialité à l’échelle locale. Ce qui fait que les gens vont pouvoir se rencontrer et parler. C’est ce qui est déjà la base de tout, de la vie en général. C’est ce qu’on a perdu et c’est ce que, nous, on essaie de redévelopper… Bien que c’est pas perdu, je pense, les gens ils en ont envie de toutes façons.
S.A. : Ils en ont tous envie les gens…


C’est pareil à Paris, dans mon quartier, je vois…


S.K. : …Oui, le problème il est mondial.
S.A. : C’est important d’être bien dans ton quartier.
S.K. : Parce que le local et l’universel, c’est des choses liées entre elles. On va jouer avec la Confédération Paysanne, au mois d’août je crois, et on est trop fiers de le faire parce qu’on est à fond d’accord avec ces gens-là. Ils défendent leur vie de tous les jours et ils se rendent compte que pour semer son terrain et cultiver ses tomates, ils sont en rapport direct avec des multinationales, des trucs mondiaux. Donc, c’est aussi ça. Nous, quand on parle des ouvriers, c’est pour dire : vous parlez d’actions en bourse, vous parlez d’internet mais derrière toutes ces manipulations électroniques, on est en train de glorifier tous les cadres, les gens qui arrivent en costard-cravate et qui font des actions et qui vendent ici et là. Ca transpire de partout, on est en train de glorifier ça. Nous, ce qu’on fait avec ce disque, on dit : attention, attention parce que derrière tout ça il y a des gens qui travaillent, qui ont une famille, une vie et il faut y penser. Quand Michelin fait des bénéfices et qu’à côté de ça il va supprimer 1700 emplois, nous, on se positionne par rapport à ça, on sait où on est.


Vous parlez beaucoup de l’usine mais quand vous voyez par exemple lors des grèves de 95 des gens qui ne sont pas ouvriers se réapproprier cette culture ouvrière, où des salariés de ces start-ups qui sont magasiniers ou scotchés à leur ordinateur à la chaîne, est-ce que vous ne considérez pas que c’est aussi ça l’usine aujourd’hui ?


S.K. : Ben, nous on est parti d’une réalité, d’un vécu. Nous, le travail ouvrier dont on parle et qui, à terme, ça m’étonnerait qu'il dure longtemps, c’est la sidérurgie. Y’a une chanson sur l’acier, moi c'est ce que je connais. Je peux pas te parler des ouvriers de l’informatique, je pense que c’est le même problème : que les ouvriers de l’informatique ils sont autant exploités que les autres, ils se crèvent la santé pour gagner quoi, pas grand-chose.
J’ai lu les textes, enfin leurs traductions françaises…
S.K. : …Ouais, on a vachement insisté pour qu’ils soient traduits…
En tout cas, ce qui est intéressant, c’est que, par rapport à l’époque où ils ont été écrits, fin XIXème-début XXème, il y avait déjà cette conscience qu’il y aurait besoin de moins en moins de main d’œuvre pour faire le même travail…
S.K. : Voilà, on dit : on perfectionne un outil de travail pour que l’ouvrier il en profite alors qu’on le met à la porte. Le progrès, il profite à qui ?
S.A. : Le progrès social, des gens, c’est pas le progrès de la machine.
P.L. B. : Oui, on parle du progrès technologique alors que ça licencie des gens et qu’on dit que malgré tout c’est important. Alors que ce qui est important, c’est le progrès social, le progrès humain.
S.A. : On a une chanson sur les gens qui ont revendiqué pour travailler huit heures, huit heures par jour, et cent ans après c’est pareil, aujourd’hui, c’est 35 heures par semaine.
P.L. B. : Il y a une chanson qui parle de canailles, de gens qui se débrouillent, qui ont du mal à s’en sortir…
S.K. : En même temps, derrière tout ça, il y a une idée que ces gens-là ils ont une dignité, une fierté d’être ce qu’ils sont et c’est important aussi. Quand tu arrives et que tu dis : voilà, moi je suis ouvrier et ça s’est bon pour se lever le matin et être content. Maintenant si on te dit : l’ouvrier c’est rien, c’est de la merde, que du jour au lendemain on te fout à la porte et que tu es traité comme une merde, c’est dur.


Avez-vous conscience de combien en France c’est toujours l’art savant qui est mis en avant par rapport à l’art populaire même si ce qui se passe de plus vivant et créatif vient de là et est-ce votre démarche de vous réapproprier une fierté de l’art populaire ?


S.K. : Oui, c’est important. Parce que nous on a fait le détour par la musique contemporaine. Tout ce qui est électro-acoustique, c’est quelque chose qui nous a questionné à un moment donné parce qu’il y avait de la recherche. J’ai écouté Karl-Heinz Stockhausen, Steve Reich, Boulez même, j’ai apprécié même. J’ai lu des livres là-dessus…
P.L. B. : Parce qu’on aime bien la musique, on est curieux de tout…
S.K. : Parce qu’on est musiciens. Mais, à un moment donné, on s’est dit : c’est bien beau tout ça mais…
P.L B. : … on s’est dit que c’était pas notre milieu…
S.K. : … c’est quand même quelque chose d’élitiste et c’est gênant parce que quand tu fais de la musique, tu as une fonction sociale. Tu as une fonction, c’est de donner… de faire du bien aux autres quoi. C’est aussi simple que ça. C’est-à-dire que tu vas faire quelque chose de rythmé où les gens ils vont pouvoir sentir la musique…
S.A. : … ils vont pouvoir danser…
P.L. B. : … Ca veut pas dire de la musique simpliste ou quoi. C’est la façon de le faire…
S.A. : …ce qui est important pour nous, c’est que déjà les gens ils fassent ça (il tape du pied en cadence). Ben si déjà ils font ça…
S.K. : …et puis dans la tête ça fait ça aussi, ça se voit pas mais ça bouge aussi.


J’ai cru lire que vous revendiquiez aussi le côté "musique de transe" ?


S.K. : Nous, on l’a jamais revendiqué. Nous, on a jamais dit : on fait de la transe ou on va faire de la transe.
S.A. : C’est d’abord les gens qui nous l’on dit ça. Nous, jamais on est parti genre les yeux révulsés, dans cet état-là. Et les gens, c’est sur scène qu’ils ont senti ça. C’est la machine, y’a pas beaucoup de breaks, c’est pas cassé, tu entends les sons, la vielle, tu as un bourdon de là. Tu as un truc de là qui fait que malgré toi, ça te rentre et, au bout d’un moment… Tu as le bourdon comme ça, une façon de chanter, on joue avec des machines…
S.K. : Si tu veux, la boucle c’est toujours la même et c’est ça qui doit provoquer la transe. Et, en même temps, c’est un côté minimaliste de la musique, un peu comme faisaient les boucles des musiques répétitives, le courant de Steve Reich, tout ça…
P.L. B. : Maintenant, c’est aussi un truc que tu as dans les musiques traditionnelles. Tu as deux accords en boucle…
S.A. : … qui tournent, qui tournent…
S.K. : … et ça monte et ça monte. C’est des rythmes qui peuvent tourner toute la nuit…
S.A. : C’est pareil au Maroc ou en Algérie, c’est pareil, les gens ils jouent le rythme des heures…
S.K. : … les gens, ils parlent de transe, je pense que c’est en référence à la techno.


Justement, vous utilisez l’électronique, est-ce que vous vous sentez des affinités avec des gens qui font de la techno ?


S.K. : Non…
S.A. : Non, nous on n'a pas 15 albums de techno chacun chez nous. On n’est pas trop branchés là-dessus…
S.K. : … on n’est pas trop branchés sur ce courant parce que ce courant-là, il est…
S.A. : … maintenant, on écoute des trucs au hasard desfois qui nous font…
P.L. B. : … on aime bien le dub, par exemple, des choses comme ça.
S.K. : Moi, j’aime bien qu’une musique elle dise des choses, qu’elle exprime quelque chose, qu’il y est du sens…


Et, à Marseille, avec la scène rap alors…


S.K. : Ah là, la scène rap…
Vous vous sentez plus d’affinités ?
S.K. : Ben là franchement, je me sens plus proche des rappeurs que du courant électronique. Pas toujours dans le discours…
P.L. B. : Dans la musique électronique, il y a un côté abstrait…
S.K. : … ça manque un peu de conscience…
P.L. B. : … y’a pas de paroles, y’a pas de discours, c’est un truc pour bouger, pour venir s’éclater. Nous, c’est pas une chose qui nous branche vraiment.


Est-ce que ça vous arrive, à Marseille, de partager une même affiche avec un groupe de rap ?


S.K. : Pour le moment pas encore mais, moi, j’ai envie de justement ouvrir les portes vers là. On va jouer un peu dans les Quartiers Nord bientôt. Moi, j’ai envie de creuser cette histoire. Là, on va bosser un petit peu avec Corrida. J’aimerais bien rencontrer les gens d’Assassin, les gens de l’ONB aussi. Ce courant-là, il m’intéresse.
S.A. : Côté gascon aussi, les gens comme Lubat, Minvielle, des gens qui ont réinventé aussi leur façon de jouer une musique. Et puis, bon, ce qu’ils font avec le festival, ça a l’air bien. Moi je suis jamais allé mais…
S.K. : … Ah ! J’y étais. Pendant quatre jours, tu passes…
S.A. : … à Marseille, par exemple, on se sent plus proches des Massilia que d’IAM, des groupes comme ça quoi.
S.K. : Avec Massilia Sound-System, c’est vraiment des amis…
S.A. : … Massilia, c’est des " collègues ", quoi ! On n’est pas cul-et-chemise mais…
S.K. : … on est toujours au courant de ce que fait l’autre, y’a des connections très proches.


Même si ce n’est pas vous qui avez revendiqué le côté transe, quelles seraient pour vous les conditions idéales pour jouer, est-ce que ce ne serait pas dans un cadre qui permet de jouer plus longtemps qu’un simple concert ?


P.L. B. : Y’ a pas vraiment de conditions idéales…
S.K. : … je sais qu’on aime bien…
S.A. : … comme on a fait du rock…
S.K. : … si tu as des morceaux qui ont un début et une fin…
P.L. B. : … nous, on aime autant bien…
S.K. : … on n’a jamais eu de grosse scène, on n’est jamais rentré en transe…
S.A. : … oui, voilà, c’est ce que je lui disais, les yeux révulsés tout ça…
P.L. B. : … desfois quand même…
S.A. : …oui parce que on est bien, on se sent bien…
S.K. : … on a joué dans des tas d’endroits, dans tous types d’endroits et dans chaque endroit, tu apprends quelque chose…
S.A. : … tu apprends quelque chose…
S.K. : … et tu en ressors enrichi. Quand tu es sur une scène de théâtre ou dans une petite cour…
S.A. : … tu te dis qu’il n’y a pas un endroit qui est moins important que l’autre…
P.L. B. :On a joué à Lecce, en Italie, il y avait cent personnes. Il y avait une petite sono, dans la cour, pas de scène, rien…
S.K. : … et on a joué en Normandie, à l’heure du thé. Dans un petit théâtre où il y avait beaucoup de vieilles. Ben c’était bien. Elles se sont régalées. Et nous, de voir que les vieilles elles s’éclatent…
S.A. : … tu vois des rangs de vieux devant, ils ont la banane jusque là et toi tu joues, tu cognes…
S.K. : … c’est pas vraiment le public idéal et si c’est bon avec eux, ça marche aussi.
P.L. B. : Moi, j’aime bien, mais je pense c’est pareil pour nous trois, c’est quand les gens ils dansent. Qu’on sent un retour, ça te met en confiance et on est content de jouer…
S.A. : On a joué dans un théâtre où les gens étaient assis et, tu sens qu’il y en a qui trépignent, qui ont envie de se lever mais c’est pas facile…
S.K. : Pour moi, l’idéal, c’est une salle style taverne. Avec un espace où les gens ils peuvent danser, avec à côté, ils vont manger un bout de poulet, les autres ils vont boire un coup à côté. Ceux du fond, ils sont même pas obligés d’écouter, celui qui veut écouter il écoute. Nous, on n’a pas conceptualisé un spectacle.
Vous faîtes beaucoup référence à l’usine, est-ce que symboliquement vous aimeriez jouer dans des usines ou des entrepôts désaffectés comme c’était le cas pour l’Usine éphèmère de la scène rock alternative ou pour les " warehouse parties " des débuts du mouvement techno ?
S.K. : Nous, on a fait un lieu où tu as les anciens Bérurier Noir, guitariste et chanteur, à Saint-Dalmas sur la frontière italienne, au-dessus de Nice et c’est un peu dans cet esprit-là. Ils ont récupéré une gare, une gare mussolinienne en plus c’est bien, et ils font des concerts, ils font de la peinture, ils crachent du feu… C’est ambiance à fond alternatif. Moi, j’ai eu l’impression d’être à un concert des Bérus sauf que c’était nous qui jouions. Et, ouais, nous on est à fond là-dedans. J’aimerais un petit peu aller voir les squatts en Espagne. En Italie, on devait se brancher avec le Village Global de Rome. Mais sans parler même de ce type de mouvements, un concert organisé par un Centre Social dans la cour de l’école, c’est un lieu alternatif pour moi. C’est pas forcément un endroit branché où les gens ils sont lookés à fond. Regarde-nous, il faut le savoir qu’on fait de la musique parce que sinon on passe inaperçus, on est comme tout le monde. On va jouer en prison en juillet, ça aussi c’est bien. Et ça calme bien, on a fait un morceau avec des prisonniers.


Sur votre album, les textes datent donc de la fin XIXème- début Xxème…


S.K. : Oui, sauf deux que j'ai écrit et qui sont ceux qui, je trouve, passent le mieux.


Et donc, maintenant, avez-vous envie d’écrire plus pour le prochain album ?


S.K. : Oui, moi j’ai envie d’écrire car les deux morceaux que j’ai écrit sont les deux morceaux qui ont un truc qui passe le plus…
S.A. : Eh, c’est parce que tu écris bien !
P.L. B. : C’est normal, tu les écris, tu les chantes.
S.K. : je les chante comme je le vois, enfin bref il y a moins de… Enfin j’ai envie d’écrire plus.


Et ça se fait facilement d’écrire…


S.K. : Ben, c’est-à-dire, faut que je lise là. Je vais lire le dernier José Bové…


Oui, ça c’est pour le contenu…


S.K. : Oui, pour moi c’est important le contenu.


Oui mais je voulais dire au niveau de la langue, est-ce que c’est plus difficile que d’écrire en français qui est quand même ta langue maternelle ?


S. K. : Oui parce ce que c’est pas ma langue maternelle. C’est une langue que j’ai apprise, je me suis dit : tiens, ça y est, je me mets à l’occitan. Pour rentrer un petit peu dans la même dialectique que les gens comme les Kurdes, les Chiapas, tous ces gens qui ont du mal à exister tranquillement. Nous, ça n’a rien à voir l’histoire de l’Occitanie, c’est autre chose encore. Mais qui est quelque chose d’intéressant qui remet tout en question, toute la politique culturelle française depuis des siècles. Après, nous on n’a pas de revendications précises par rapport à ça. C’est un constat, c’est une vérité. Si tu regardes l’Histoire, si vraiment tu es soucieux de l’Histoire de la France et bien, tu constates qu’à un moment donné, la langue d’Oil a conquis le sud de la langue d’Oc. Et que cette langue qui existait qui était la langue des troubadours qui était appréciée dans toute l’Europe à l’époque, dans toutes les Cours, on l’a transformée et on a dit : ça, c’est du patois. Et tout ce qui est patois, c’est minorisé, c’est pas bien, ça veut dire que c’est inférieur, que c’est arriériste. C’est pas la langue du Progrès et donc, dès que tu parles du Progrès, tu vas mettre la langue française, la philosophie des Lumières. Et on met en marche toute une symbolique que tu retrouves aujourd’hui quand on parle de libéralisme et de concepts comme ça qu’on positive. On dit : ça, c’est l’avenir. Mais tout le monde a envie d’être positif, d’aller de l’avant. Seulement nous aussi on va de l’avant mais pas avec les mêmes concepts. On part sur d’autres choses, on essaie un peu de se vider le cerveau des conneries qu’on a dû ingurgiter.
P.L. B. : Mais c’est pas facile parce qu’une langue il faut quand même la reconquérir.


Est-ce que ce n’est pas aussi revendiquer le droit du sol plutôt que le droit du sang puisque j’ai lu que tu es originaire par tes parents du nord de la France et également d’origine polonaise ? Donc plutôt que de dire que tes racines sont là-bas, c’est de dire qu’elles sont où tu es ?


S.K. : C’est l’endroit où tu vis. Pour moi, tous les gens qui viennent à Marseille, ils ont leur mot à dire. Comme nous, maintenant, on dit : il faut que les immigrés ils votent. C’est toujours pas fait mais nous on dit : c’est normal, c’est ici qu’ils travaillent, c’est ici qu’ils vivent, qu’ils paient leurs impôts.
P.L. B. : La culture d’un lieu, à un moment donné, elle doit être faite par les gens qui vivent là. Elle se transforme tout le temps. Donc la question, c’est pas d’où tu viens ou du sang, c’est aujourd’hui l’important.
S.K. : La vraie culture marseillaise, elle est tellement visible que tu t’en rends plus compte. C’est d’appeler son collègue du 3ème étage d’en bas, c’est des petits trucs, c’est une façon de prendre l’apéro et de rigoler. C’est des petits trucs mais qui existent vraiment : l’accent, la façon de parler le français. Et donc, ça c’est accessible à tous les gens qui au bout de je sais pas combien d’années se sentent bien ici et ont envie d’être ici. On avait fait un débat à la Criée pour un programme de France Culture sur l’occitan. Et les gens, ils étaient un petit peu réticents. Et y’avait un Maghrébin qui s’était intéressé à cette langue et qui avait voulu l’apprendre. Et moi, j’ai trouvé que j’avais plus besoin de parler, il avait tout dit là. Et c’est comme ça que j’aimerais que ça fonctionne, que les gens ils comprennent qu’il y a un trésor ici et qui est inexploité. Même au niveau du rap. Après, c’est sûr qu’il y a un truc qui est gênant, c’est quand tu as un message à faire passer et que les gens ne le comprennent pas vraiment, tu es toujours dans le doute : " pourquoi je chante en occitan, ça me casse les couilles ". Après, il y a une esthétique de l’occitan. Il y a un accent. Moi, j’ai un accent donc une musique de la langue.
P.L. B. : Tu dis que c’est pas notre langue maternelle mais, moi, je crois que musicalement, c’est notre langue maternelle. C’est pour ça que c’est plus facile de se le réapproprier par le chant.
S.K. : Toi, tu peux le dire, ta mère elle est d’ici quand même…
P.L. B. : … la langue maternelle, c’est une image…
S.K. : …eh oui, j’ai bien compris ce que tu dis ! La langue, l’accent !

 

Propos recueillis par Olivier Cathus