Interview Date : 01 décembre 2001 par Olivier Cathus

U-cef, le "Talvin Singh d'Afrique du Nord" : la drum'n bass en version marocaine
Interview


Décembre 2000. U-cef est un drôle, spontané et rigolard : un kiffeur. C'est donc en toute décontraction, dans les loges du Café de la Danse, avant son passage au festival des Belles Nuits du Ramadan, qu'il nous raconte sa manière de faire et qui lui vaut ce surnom flatteur de la presse anglaise. Il nous annonçait un set qui arrache, pour sûr : ça a même arraché certaines âmes peu préparées de leur siège, direct jusqu'à la sortie !

En deux mots, pourrais-tu me décrire ta musique ?

U-cef : C'est une musique de fusion. À une époque, il y avait la fusion avec l'acoustique mais là, la fusion s'est éparpillée, élargie en fusion de tout ce qui est bruit. Tout ce qui fait un bon bruit, tu peux l'utiliser.

Les influences dominantes sont les musiques électroniques avec des colorations orientales…
U : Les influences, ça dépend, puisque tout est ouvert, universel. Si tu as une idée et que ça marche, tu la gardes mais il y a de tout. L'électronique, les samples, les platines, n'importe quoi… Même les bruits de feedback, de distorsion ça peut être utilisé, ça dépend quelle section, ça dépend comment ça sonne. Desfois, y'a des sons qui sont très intéressants mais qui ne sonnent pas très bien. Il faut essayer : c'est expérimental et très très large.


Cette importance du bruit est commune à toutes les musiques populaires, au rock, au rap, à la techno…
U : Dans tout, oui. Moi, je me rappelle à une époque, dans les années 80, au début des années 90, y'avait personne du rock qui voulait mixer l'électronique dedans. À l'époque, ils ne jouaient que la pop et voilà. La pop et pas d'électronique. La guitare, c'est électrique, la basse, les micros c'est électrique, c'est amplifié donc tu si tu veux discriminer tout à fait à 100%, tu deviens un puriste. Mais ceux qui pensent être puristes, en fait, ne le sont pas. Pas si t'utilises une guitare ! Le puriste, c'est quelqu'un de naked, de nu. Si t'utilises la guitare, pourquoi pas le sampler, la platine ? Pourquoi pas une beatbox ventriloque ?


La presse anglaise t'a comparé à Talvin Singh, te sens-tu proche de son travail ?
U : Le "Talvin Singh d'Afrique du Nord", voilà. C'est une comparaison de fusion, fusion de ce qui est dance et ce qui est traditionnel, culturel. En ce qui le concerne lui, c'est l'Inde et la drum'n bass. (Quelqu'un rentre et ferme la porte de la loge, ndla) C'est marrant là, c'est comme si, en fermant la porte, t'avais appuyé sur le bouton pour arrêter la cassette, soundproof ! (rires). Ce que Talvin Singh a fait, c'est mixer la culture indienne avec la drum'n bass, avec un peu de classique aussi. J'admire beaucoup ce qu'il fait. C'est pour ça qu'ils ont dit que ce mec-là, U-cef, c'est le "Talvin Singh de l'Afrique du Nord". C'est un honneur pour moi. Il a quand même une grande démarche. Ce qu'il faut, c'est du courage. Parce que tu veux faire quelque chose mais tu ne sais pas comment ça va tourner avec les médias, ni même avec les gens qui t'apprécient dans la musique. Tu sais pas… Il faut risquer, il faut expérimenter et voir le résultat.


Quel sera ton groupe ce soir, on m'a dit qu'il y avait deux rappeurs ?
U : Il y a un seul rappeur, Richard Switman, d'origine jamaïcaine, et le DJ Don Killer, il s'appelle Rafik, c'est un Marocain né à Londres. C'est le Beur de Londres mais lui il parle même pas français, il est direct anglais ou arabe…


Tu vis à Londres, as-tu fait ce choix en raison de la scène électronique qu'il y a là-bas ?
U : Naturellement, tu vis là-bas, tu vas être influencé. Quand j'ai vécu à New York, j'étais beaucoup influencé par le reggae, le dub, le hip-hop et les fusions aussi. Donc à Londres, il y a l'influence des clubs, des sound-systems, des sons. Les sons sont beaucoup plus étudiés à Londres que nulle part ailleurs. Tous les gens, partout dans le monde, savent que c'est un élément qu'il faut utiliser. Alors ils expérimentent les sons. Et il y a eu plein de résultats qui ont été bons. Partout, pas juste à Londres.


Est-ce ça ne te semble pas un peu tôt pour de la musique électronique d'être programmé à cet heure-ci ?

U : Ils m'ont dit que le "couvre-feu", c'était à 10 h et demie. Parce que nous, on va cartonner pendant une heure alors qu'il y aura encore la soupe dans les estomacs, y'a le dîner qui va mixer !


J'ai entendu dire qu'après le concert tu devais aller participer à la soirée Ethnotek ?
U : Ben, je voulais bien, moi. Je suis bien valable et s'il y a un plan, je suis partant. Je prend le sac et on y va, simple. S'il y a un gig, c'est juste pour le plaisir. On peut voir s'il y a moyen de faire une descente et boum ! Il se peut qu'on passe ce soir là-bas, on amène le DJ, le MC et on voit… Le micro, les vinyls et puis voilà…


Qu'est-ce qu'il y aura de joué live ce soir ?
U : Y'a moi qui joue les percussions. J'ai un live band qui est composé de neuf personnes mais il y en a trois au Maroc et le reste, c'est tout à Londres. Donc, il faut avoir un budget pour ça et ça me limite. C'est pour ça que j'ai une formation de trois. Mais ça arrache, c'est un set de musique marocaine, arabe, sur de la drum'n bass. Avec un MC. La drum'n bass, c'est plutôt un truc pour la danse. Pour moi, ce qui est très important ici, c'est que j'essaie d'établir ça comme une nouvelle institution in the Ministry of Sound. Tu vas dans les meilleurs clubs, dans les clubs qui jouent avec 10 000 personnes, le mainstream. J'essaie… C'est un truc solide. Si ça casse, tu peux pas résister. Mais tu sais, ça va arracher pendant une heure et puis après, tu peux te reposer si tu veux. Ca c'est une institution de musique pour les clubs designés, conçus que pour ça. En général, tu remarques que les sets de drum'n bass, straight drum'n bass, sont dans les clubs de danse, ou alors de jungle mais jamais… ou alors, tu as le asian crew qui utilises le drum'n bass, et d'autres rythmes, le dub et la musique hindoue…


Ce qu'il y a d'étonnant avec la drum'n bass, c'est qu'elle s'adapte à des genres très différents, que ce soit la musique indienne pour Talvin Singh, pour la musique arabe et marocaine avec toi, mais aussi pour la musique brésilienne…
U : La drum'n bass marche partout. Si tu sais comment l'utiliser, ça peut marcher partout. Sauf les rythmes ternaires. J'ai essayé un truc, j'ai les chants des femmes de Tarazoot, sur des rythmes ternaires et même plus complexes que ternaires, sur des 7, sur des 5. Parce que les Harwach, les femmes chantent, les hommes jouent les bendirs, y'a le chef, le maestro qui les guide. Et lui desfois, ils renversent les bars, par un signe. Il renverse les bars, de 4 à 6. Et moi, j'ai pris que les voix et je les ai utilisé sur un rythme de drum'n bass. Et le morceau s'appelle "Tarazoot", c'est de là que vient cette tribu. Ca c'est une exception. Il y a aussi un morceau qui s'appelle "HalalMonK" et où je joue les castagnettes, les karkabous, dessus et qui est ternaire. Et tu verras ce soir que ça marche. Ca dépend où tu les places. Tu peux très bien les placer au mauvais endroit comme tu peux très bien trouver le bon. Mais l'impression, le message est bien clair pour l'écouteur, il sait ce qui se passe. Maintenant, même les gens qui ont moins l'habitude ont progressé dans leur connaissance musicale, ils savent quelques détails de plus : le dj, les scratches, les samples. Tout le monde est pris en considération tandis qu'il y a quelques années quand les gens voyaient juste un Dj… C'est vrai qu'il y a des djs qui prétendent travailler mais, bon, ils jouent une cassette en bas. C'est pas facile de produire de produire un show avec des sons, d'expérimenter plein de choses live. Y'en a plein qui font leur homework, leurs exercices avant de venir ici. Et il y en a qui sont limités et qui ne peuvent pas faire ce qu'ils veulent librement sur scène. Alors ils l'enregistrent et ils amènent ça sur dub plates. Et ils jouent live dessus. Mais moi, si tu veux que je joues tout ce que je ramène sur les vinyls et les cds live, il te faut une dizaine de personnes. Mais on peut pas les payer tous alors… Pour moi, ce qui est important, c'est le son. S'il y a des sons qui sortent qui sont bien coupants, c'est ce qui m'intéresse. Et les auditeurs s'ils n'ont pas de préjudices (préjugés ?), ils vont apprécier. C'est fait live. Si tu veux, c'est comme on fait des live remixes. Y'a rien de préparé, c'est live, tu le fais et si tu le rates, tu le rates, tu dois revenir dessus. Même le MC, il freestyle souvent et du moment qu'il rappe ce qui me concerne, c'est bon. Et puis ça toaste, comme ils disent, ça "toaste" l'audience. Ce qui est important au fond, c'est ça. C'est pas qu'il ait joué un accord de sol 13ème diminué où he puts his finger up his ass (rires) !


Que penses-tu du festival et de sa vocation de faire des nuits du Ramadan un moment de partage fraternel ?
U : Est-ce qu'il y a de l'alcool ici ce soir ? Non ! Ben bravo, c'est une vraie nuit du Ramadan alors. Et c'est avec Digital Bled que j'apprécie beaucoup, on est des bons copains. J'aime bien son album et je sais qu'il va avoir du succès dans l'avenir. Et j'espère que les Nuits du ramadan continuent, j'espère revenir avec un big band. Loïc m'a parlé des Belles Nuits, il m'a dit que Lili Boniche et l'ONB étaient là. Y'a de l'espoir quoi, c'est prometteur. Big Up !

 

 
mise à jour : 14/03/01
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