Loïc Wacquant : Les prisons de la misère

De l'emprisonnement comme idéologie


SOCIOLOGIE

 La collection Liber/ Raisons d'agir dirigée par Pierre Bourdieu continue son travail de salut public. Proche des derniers travaux du professeur du collège de France, ce livre d'un fidèle parmi les fidèles s'attelle à une tâche difficile : montrer comment les Libéraux imposent dans l'ensemble des pays la politique de la tolérance zéro. Wacquant montre que derrière la dénonciation des " violences urbaines " effectuée par les médias se met en place une traque sans merci dont sont victimes aussi bien les jeunes délinquants que les pauvres et les sans-abris. Derrière ce harcèlement sans répit se cache une volonté de contrecarrer voire d'éradiquer les signes de présence des laissés pour compte du marché. La tolérance zéro masque l'envie de juguler et de cadenasser toutes les formes de rébellion ou de désordre engendré par le chômage de masse. Wacquant montre comment par un retournement théorique dont sont friands les penseurs des différents think tanks à l'origine de cette politique, les pauvres deviennent les coupables d'un système dont ils sont en fait les principales victimes. Wacquant donne des statistiques plus qu'intéressantes et illustre son propos par des chiffres lourds de significations : à New York, 80% des jeunes noirs et latinos ont été au moins une fois contrôlés par la police. Du coup 72 % de cette population juge que les policiers font un usage abusif de la force et 66% que les brutalités à l'encontre de ces populations sont courantes.

L'emprisonnement est la traduction en terme de justice de la montée de la pensée conservatrice néo-libérale. Si l'état se désengage socialement, il s'investit à fond dans la politique judiciaire et policière. L'état pénitence circonscrit les limites du mal et fait tout pour ne pas gâcher la fête des plus riches. L'état juge et emprisonne à tour de bras après avoir durci bon nombre de lois. Comme souvent, l'Angleterre sert de laboratoire à cette nouvelle politique libérale et doit fixer toute notre attention tant l'on sait que beaucoup de nos intellectuels ou journalistes reconvertis récemment au néo-libéralisme sont prompts à vanter les mérites.

Wacquant n'hésite pas à déclarer que les Etats-Unis ont clairement opté pour la criminalisation de la misère comme complément de l'insécurité sociale et salariale. Si nous sommes confronté aujourd'hui à un choix de société comme l'a montré la conférence de Seattle, il est clair que notre devoir de sociologue est de réfléchir à la création d'alternatives au libéralisme sauvage qui tend à s'imposer comme unique solution.

Cette collection salutaire réveille notre intelligence et notre conscience, nous ne pouvons que conseiller d'en lire tous les ouvrages mais peut-être plus encore celui-ci tant il est un modèle du genre.

 

Bertrand RICARD