BECK

Midnite Vultures


A LA UNE
SOCIOLOGIE
ACTUS SITOYENNES
RENCONTRES
LITTERATURE
CINEMA
MUSIQUE
POST-FESTUM

Contact :

gredin@free.fr

 

 

BECK-ING THE RULES

Un type qui franchit le cap de l’an 2000 avec un album frappé funk ne peut pas être foncièrement mauvais, surtout quand il s’agit de quelqu’un d’aussi brillant et créatif que Beck Hansen. Toutefois, avant de jeter impatientes les oreilles dans une première écoute du disque, on pouvait être sceptique devant l’unanimité dithyrambique qui accompagna la sortie de Midnite Vultures. Tant de médias criant au génie, ça fatigue vite et on pouvait craindre le coup monté : habillage trashos-air-du-temps ressuçant les années quatre-vingt en passe de devenir le must du moment, le top de la hype, méfiance. Même si c’est Beck et que le type a plutôt tout l’air du mec plus bohème-bricolo que fashion-victim, méfiance.
Pourtant s’il y a ici un petit parfum 80’s dans ce disque de toute fin de siècle, nous concèderons que c’est le petit pas en arrière pour mieux prendre l’élan de sauter dans les 00’s. Car Beck aura tout le temps de participer à l’invention de la musique du XXIème siècle, l’avenir lui appartient. Et surtout... d’emblée, c’est mortel avec l’imparable " Sexx laws " et ses cuivres bruts. Mais on avait déjà pu entendre le morceau, déjà sorti en single et clippé. Par contre, on est d’abord surpris de la suite.

Oui, l’album a tellement été décrit comme "funk" que l’on s’attendait peut-être plus à une chaude jam-session aux sons de l’âge d’or 70’s qu’à ce qu’a, en fait, réalisé Beck : un véritable album de studio, un petit bijou où se multiplient les pistes et les couches.
Une des ambitions de Beck sur cet album semble avoir été de produire des sons des années 80 avec le son d’aujourd’hui, estimant peut-être que le potentiel des machines n’avait pas été correctement exploité (et c’est le moins que l’on puisse dire en ré-écoutant la plupart des productions d’alors). Et on reconnaît bien là l’as de la récup’, le petit génie bricolo dans son art étonnant à se ré-approprier les effets les plus cheaps (vieux synthés, batteries électroniques, petite voix de nana acidulée F.M.) pour les transcender et les intégrer dans des compositions aux architectures complexes, ouvertes aux voies de biais. Le banjo sur "Sexx laws", les cordes beatlesiennes à souhait sur "Nicotine & gravy", l’electro-funk sur "Get real paid". Il subvertit le cheap en quelque sorte.

Au-delà, on notera surtout que son inspiration s’appuie sur un gros travail de production tout d’abord, jamais il n’avait été aussi riche et fouillé qu’ici. Un gros et indispensable travail a aussi été fait sur les voix et leurs arrangements, car comment prétendre réussir un album funk sans avoir les voix à la hauteur. Certes il prend une voix de fausset et n’a pas réellement une voix soul mais, à l’arrivée, ce qui aurait pu être un écueil finalement tient la route (tant bien que mal)...
Néammoins le côté soul et funky n’est pas l’essence de la musique de Beck. Ainsi "Nicotine & gravy" est un chef-d’oeuvre fractal éclatant dans toutes les directions (même s'il perd pourtant un peu le groove en cours de route). S’y entremêlent une rythmique "à la Sly", une montée de cordes "à la Beatles", la fameuse petite voix acidulée cheap, des choeurs, avant d’éclater en spirale électrique orientalisante, magnifique.
En permanence sous-tendue par sa culture et ses influences pop, la version du funk selon Beck est plus proche des touffus délires clintoniens que des secousses tellurico-groovesques browniennes, en particulier sur "Hollywood freaks" ou sur le refrain de "Get real paid".

Mais, notamment par ses accents pop, on remarque surtout un côté "princier" dans l’exercice. C’est que, sous ses airs enfantins de petit prince, Beck se montre aussi brillant que le petit Prince quand celui-ci, au coeur des 80’s, mettait tout le monde d’accord avec sa funky-pop sophistiquée. Sûr qu’aujourd’hui Roger "The Artist" Nelson doit apprécier à sa juste valeur la production de Beck Hansen, peut-être soupire-t-il "quel manque de classe" en voyant comment est attifé le zigue Beck.
Une fois de plus, on constatera que Beck appartient à la catégorie rare de ceux qui, quel que soit le genre traité, impose leur patte. Qu’il s’agisse de pop, de country’p-hop, ou de funk, Beck casse les codes et impose ses propres règles à l’exercice : Beck-ing the rules !


Olivier Cathus

 

 

FUNKBRIC À BRAC


Avec ce nouvel album, Beck une nouvelle fois, étale son prodigieux savoir faire et ses talents de meilleur artisan des States. Beck puise ce coup là, son inspiration dans le creuset des musiques afro-américaines : funk, soul, jazz rock et rap mais il s’en dégage aussitôt, pour garder intact sa propre manière de faire et de concevoir ce que le mot influence recouvre dans son langage. Beck prend une base sonore qu’il modifie à sa guise et qu’il transforme en du Beck tout craché. Aussi, si l’on peut dire qu’il a donné le jour à un album pop, un album funk ou folk, au final, il demeure une profonde unité dans sa discographie. Beck bricole les sons et sait les mélanger. Possédant une prodigieuse culture musicale, Beck parvient à s’extraire de sa discothèque pour produire son œuvre à une vitesse déconcertante. Déjà 6 albums et l’on annonce qu’il planche déjà sur le suivant au grand dam de Geffen, certains titres étant même enregistrés. Cette fois Beck a été rechercher ses moogs, son melottron, son vocoder et ses vieilles basse slappées des années 70. L’album prend sa source dans la musique noire des années 70-87, jusqu’au Prince de la première période et propose un tour d’horizon à la sauce 2000 de cette époque bénie des dieux pour les amateurs de musique noire.
La pochette de Midnite Vulture (la plus laide de l’année avec celle d’EBTG) annonce la couleur, l’hiver sera dansant ou ne sera pas. Kitsch et parodie des pochettes discos des disques cheaps des années 77-80, celle de cet album reprend la thématique annoncée par l’album Vogue de Starshooter en 1978. Cette musique est celle du sexe et de la sueur, du fun et de la bonne humeur. D’entrée de jeu, Beck nous cueille à froid avec le single "Sex Laws" l’un des grands single de la décennie et sorti trop tôt pour être le premier grand single de l’an 2000. Un tube soul avec un banjo! A jouer indéfiniment en boucle et qui va mettre le feu dans bon nombre de fêtes pour la Saint Sylvestre. Autant le dire tout de suite, l’album ne contient aucun autre morceau aussi fort et provoque donc une déception légitime tant l’on était parti de haut. L’album se poursuit avec "Nicotine et gravy" à la rythmique très Sly and the family stone entrecoupé d’un pont très Beatles style "I’m the walrus" : un morceau de bonne facture.
Vient ensuite "Mixed Bizness", un morceau très Stax sous ecstasy, presque Parliament en fait, presque Princier, celui des maxi "America" ou "Love and Money" avec sa guitare wah wah et sa basse accélérée. Un rapprochement rendu évident par le fait que Beck chante presque tout l’album en voix de tête. Le quatrième morceau "Get real paid" renvoie irrémédiablement à cause du vocoder, à Zapp et à son fameux Zapp IV. Un album à acheter d’urgence pour ceux qui ne le connaîtraient pas, mais qui s’inspire aussi de Kraftwerk et de son Tour de France. "Hollywood freaks" nous ramène au début du Hip Hop et du rap. L’on songe à Grandmaster Flash ou à Kurtis Blow pour le traitement très Linn drum du son et pour les synthés très "Street style" de l’époque, mais qui prolonge aussi son évocation de l’histoire du rap par l’usage des voix très Native Tongues, comme les Jungle brothers ou De La Soul.
"Peaches and Cream" hésite entre les Stones de Black and Blue du style "Hot stuff" ou ceux d’Emotional rescue. C’est en tout cas amusant d’entendre Beck imiter Jagger imitant lui-même les chanteurs soul noirs américains. En plus les arrangements sont étonnants, Beck mêle guitares acoustiques et électriques, la slide à l’acoustique et à une rythmique très laid back. Encore une fois, Beck s’amuse à casser le morceau par un Break vocal sur lequel se conclue le morceau avec l’arrivée des cuivres : un très bon morceau.
"Broken Train" avec son marimba est plus typiquement beckien, l’on dirait presque une chute de l’album précédent Mutations mais les synthés très "Starsky and Hutch thème" ainsi que l’harmonica bluesy servent de fil rouge à ce morceau moins typiquement Black que les autres.
"Milk and Honey" démarre sur un rythme chaloupé et syncopé, c’est le morceau le plus rock de l’album. Le piano et le refrain font très Black Crowes lorsque ceux ci jouent de la soul. Un pont au synthé, de nouveau très Grandmaster Flash entrecoupe le morceau. Encore un titre étonnant qui mérite plusieurs écoutes, rien que pour la richesse des arrangements et l’utilisation des instruments, notamment l’agencement des voix sur le pont final. Sur ce morceau figure Johnny Marr l’ex guitariste des Smiths, un as de la six cordes qui démontre une fois de plus la richesse de son étendue guitaristique.
"Beautiful Way" réveille les fantômes des sixties notamment les groupes de la côte ouest américaine, les Byrds de Notorious Byrd brothers , les Left Banke et bien entendu le groupe de Neil Young, le Buffalo Springfield. Une superbe composition très country rock grâce à une magnifique partie de steel guitar et d’harmonica. Un grand morceau de plus, peut être le plus pop de l’album. Beck chante merveilleusement bien sur ce titre. Ce morceau est le seul sans bruitages ni breaks impromptus.
"Pressure Zone" est à mon sens le morceau le plus faible de l’album. C’est un morceau assez pop mais sans plus. Enfin "Debra" est un hommage à Prince et par delà, à Marvin Gaye ou à Curtis Mayfield ou Bobby Womack, en un mot, à tous les grands chanteurs de ballades soul. Le fait d’avoir placé ce morceau en fin d’album est idéal pour passer à autre chose ou pour le remettre une fois de plus.
Un grand album de plus dans une discographie déjà très riche mais au titre trompeur car il ne s’agit pas d’un album de funk ou de soul. Il s’agit simplement d’un très bon album de Beck ce qui est déjà énorme et suffisant pour bien commencer à la fois l’année et le siècle.


Bertrand RICARD
.