Amparo Lasén

LES MONDES PARALLELES

Un apport de la Science Fiction à la compréhension de la temporalité des jeunes 


SOCIOLOGIE

 

 

 

Je perds un peu la tête dernièrement. Je ne sais pas à quoi cela est dû, cela m'arrive maintenant même. J'appelle cela mes sauts de conscience. Je sais parfaitement où je suis. Je sais que je prends un café avec toi et que mes amis sont là derrière, mais c'est comme si j'avais une autre perception du temps.(...) C'est très difficile d'expliquer, de verbaliser, peut-être je l'écrirai un jour. C'est comme hier, mais c'est différent, j'ai une impression différente de tout ce qui m'entoure et de moi-même. Ce n'est pas perdre la tête, ni avoir du mal à penser, c'est des sauts de conscience, comme un déclic, comme si je partais.(...) Quand ta conscience change, ce qui t'entoure change aussi, mais sans changer réellement, parce que je connais ce qui m'entoure, ce n'est pas un état hallucinatoire ou pré-hallucinatoire. Ce n'est pas facile à expliquer, et en plus ça dure, ça peut durer un moment, dix ou quinze minutes, parfois même une journée et ce n'est pas désagréable. Tu sais, tout ce qui mène à changer dans la manière de sentir ce qui t'entoure est génial.(1)

Notre étude des temporalités des jeunes a fait ressortir deux aspects qui peuvent être éclairés par la notion de monde parallèle, empruntée aux récits de science-fiction. Il s'agit d'une part, de l'ensemble de scénarios virtuels multiples, voire contradictoires, que les jeunes se donnent à l'heure d'imaginer leur avenir. Ces souhaits et attentes concernant le futur prennent la place des projets dans un élargissement du présent. Ces scénarios virtuels servent aussi à relier le  présent et l'avenir avec le passé dans le cas fréquent de la reprise de choix délaissés autrefois. 

D'autre part, les loisirs mimétiques, qui relèvent de l'imaginaire comme les virtualités citées, constituent des mondes qui contribuent aussi à la création de nouveauté dans le parcours vital de ces jeunes. Ces derniers tiennent à rendre effectif leur "âge de possibles" et se soucient plus d'imaginer des choix virtuels multiples à venir que de tracer un plan de carrière unique et d'actualiser les choix menant à la vie adulte. Ces jeunes font leur l'avis de William Blake pour qui l'imaginaire est un espace réel, un premier monde à partir duquel explorer l'univers, où le pouvoir de la pensée rend les autres mondes possibles. Cette importance de la dimension virtuelle dans les temporalités étudiées les rend particulièrement sensibles à l'analyse à travers des formes littéraires. Car le monde envisagé comme possible est directement liée à la fiction littéraire, au roman qui lui sert de métaphore (2) .  

La notion de mondes ou d'univers parallèles apparaît dans nombre de récits de science-fiction, pour le présent article nous suivons la description de l'écrivain américain Philip K. Dick (3) . D'après lui, ces mondes correspondent à une "pluralité d'univers arrangés le long d'une sorte d'axe latéral, à angles droits par rapport au flot linéaire du temps". Son hypothèse est celle d'un temps orthogonal : un domaine latéral à l'égard de la réalité quotidienne où des changements prendraient place. Ce seraient des présents parallèles dont les passés auraient bifurqué à un moment donné. Ce ne sont ni des retours au passé, ni des voyages dans l'avenir, mais des utopies vécues ici et maintenant. Dick explique sa conception par la métaphore de l'amateur des tableaux. Celui-ci a donné l'instruction à ses domestiques de changer chaque jour le tableau qui pend sur le mur de son salon. Arrivés au jour où il n'y a plus des nouveaux tableaux disponibles, ces employés, soucieux d'obéir aux instructions du collectionneur, transforment légèrement les tableaux déjà exposés : ils ajoutent un arbre dans un coin, effacent un personnage, changent une couleur. L'attention aux détails changeants leur permet d'exposer un "nouveau" tableau. Ces détails qui changent sur un univers en apparence permanent constituent les différents mondes parallèles, connectés entre eux, permettant de "glisser" de l'un dans l'autre.  

Cette conception de science fiction a des réminiscences leibniziennes. Ces mondes parallèles sont des séries de singularités et d'événements divergents. L'univers dickien ressemble au jardin aux sentiers qui bifurquent décrit par Borges dans ses Fictions, un réseau croissant et vertigineux de temps divergents et parallèles formant une trame temporelle qui embrasse toutes les possibilités. Pour Dick, comme pour Leibniz, le monde qui s'actualise et qui prend corps est le meilleur des possibles. Si nous entendons ce principe tel que Deleuze le conçoit, à la lumière de l'oeuvre de Whitehead : le meilleur des mondes possibles n'est pas celui où se reproduit l'éternel, mais où se crée le nouveau (4) , il peut nous être utile pour comprendre les temporalités des jeunes de notre recherche. Ce que Whitehead appelle les "objets éternels" : les qualités, les figures, les choses, dont nous pourrions dire aussi qu'il s'agit de formes et d'archétypes mythiques, s'actualisent dans les monades et se réalisent dans les flux de manière à ce que leur caractère éternel ne s'oppose pas à la créativité du nouveau. Les mondes parallèles des pratiques de loisir et des possibilités à venir servent à créer de la sorte du nouveau, du possible, dans la vie des jeunes.   

La notion de monde parallèle nous amène à celle de "monde imaginal".  De la définition donnée par Henry Corbin (5) , nous retiendrons la puissance médiatrice de l'imaginaire, un intermonde entre le sensible, le monde empirique des sens, et l'intelligible, le monde abstrait de l'intellect. Il"immatérialise les Formes sensibles" et"imaginalise les Formes intelligibles", leur donnant figure et dimension. Ce monde jouit du double caractère de  limite qui sépare et de temps qui conjoint. C'est le lieu de la coincidentia oppositorum, du contradictoriel en acte. Corbin emploie le mot persan barzakh, à la fois écran, limite, intervalle et intermonde. L'auteur différencie le monde imaginal et son imagination active de l'imaginaire, qu'il identifie à l'irréel, la fiction et le mythe "dans son acception courante". Or l'imaginaire participe de la puissance médiatrice du monde imaginal. Il a aussi la valeur de cognition que Corbin accorde à ce monde. 

Nous ne partageons pas les distinctions entre le mythe et les constructions de l'imaginaire qui font appel au caractère "irréel", fantasmatique ou passif de ces dernières, à la différence du sérieux et de l'orientation vers l'action des mythes dans les sociétés traditionnelles. Dans l'exemple de notre étude, les mondes parallèles traversés dans les loisirs non seulement relèvent du sérieux et de la "vraie vie" pour nos enquêtés, mais, comme dans les récits imaginés par Dick, ils procurent aussi la participation à un autre temps qui s'ouvre sur le présent ordinaire. Ils relèvent de la commémoration évocatrice et de la préparation à l'avenir qui caractérisent l'orientation mythique vers l'action. Roger Caillois considère que la mythologie est prenante pour l'homme, car elle exprime des conflits psychologiques, individuels et collectifs, et leur donne une situation idéale ; la plurivocité de la projection mythique d'un conflit permet une multiplicité de résonances. Ce trouble simultané sur divers points, poursuit-il, fait de l'ensemble des mythes une "puissance d'investissement de la sensibilité" (6) . Nous ne voyons aucune objection à l'application de tels propos à l'ensemble de la création imaginaire. Avec un soupçon de mépris, Caillois définit la littérature comme une activité de substitution de la mythologie quand celle-ci perd sa nécessité, alors que nous voyons plutôt la même nécessité se perpétuer à travers les fictions.  

L'imaginaire n'est pas une évasion hors du réel mais une autre façon d'être en relation avec lui. Nous suivons Pierre Sansot quand il affirme que face à l'extrême richesse du réel débordant notre capacité à l'appréhender par des concepts nous devons emprunter une approche "poétique". Ce qui caractérise les jeunes de notre enquête face à la complexité environnante. Ils font de l'imaginaire cette capacité d' "inventer un autre monde" (7) . Ainsi notre conception du monde imaginal se rapproche de celle de Michel Maffesoli en tant que production d'images de toutes sortes : les procédés symboliques, les rêves et toutes les formes de création et d'invention, artistiques, scientifiques et autres ; à la fois "ensemble matriciel qui transcende et ordonne les images et expériences mondaines" , "condition de possibilité des images sociales" et l'ensemble d'images, d'imaginations, de symboles et d'apparences dont la vie sociale est pétrie (8). 

Les fictions littéraires, notamment la science-fiction, ont l'intérêt aussi de montrer les visages antithétiques du temps : le temps destructeur et "l'artiste, le Temps" qu'elles configurent dans des êtres emblématiques. La science-fiction "ne cesse d'épiloguer sur la double dimension destructrice et créatrice du temps"(9) . Elle est la seule à "ouvrer avec le temps" dans toutes ses variations thématiques (10) et manipule le temps comme le dispositif rituel des sociétés traditionnelles le fait. Les fictions ont aussi le pouvoir d'explorer la frontière entre fable et mythe. ( Elles expriment des expériences-limite où se manifeste le désir d'éternité, comme lors des rituels ou des expériences de transe. Si l'on suit Ricoeur, "c'est chaque fois dans un monde possible différent que le temps se laisse outrepasser par l'éternité"(11). La "mythisation" du temps se fait par la mise en contact, ou en collision, du temps intérieur, hors chronologie, hors mesure, avec le temps cosmique, l'incommensurable. Pour Dick, la science-fiction constitue une troisième réalité qui prend forme à mi-chemin entre ces deux temps, qu'il appelle l'idios kosmos, autant le monde que le rêve privés, individuels, et le koinos kosmos, le rêve partagé (12) , c'est à dire une autre déclinaison de l'intermonde imaginal. Louis-Vincent Thomas relève aussi cette connivence entre mythe et science-fiction, pour l'anthropologue cette dernière n'est que la mythologie du monde moderne en-train-de-se-faire, elle redonne de la crédibilité aux mythes passés (13) . 
 

Les mondes parallèles des loisirs mimétiques

Dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse, Durkheim observe que l'effervescence collective peut avoir comme effet de nous transporter "dans un monde entièrement différent" de celui qu'on a sous les yeux., dans un délire "bien fondé", où les images de ce monde correspondent à quelque chose dans le réel (14) . De nos jours ces situations d'effervescence partagée se retrouvent dans des loisirs mimétiques. D'après Norbert Elias, ces derniers suscitent des émotions et provoquent ou éveillent des tensions sous la forme d'une excitation modérée. L'adjectif mimétique renvoie au fait que les affects éveillés : la peur, la haine, l'anxiété, la sympathie, l'humour ou l'amour, sont liés aux situations expérimentées dans la "vie réelle",  mais sans les risques et les dangers qui leur sont propres. Ces émotions ont une "tonalité différente" et sont accompagnées d'une "sorte de délectation". Ces loisirs restituent ces tensions, ces sentiments forts, souvent évincés des routines quotidiennes. Le sport, le concert, le théâtre, la télévision, la chasse, la pêche, le jeu ou la danse font partie de cette catégorie de loisirs, qui met en jeu des formes diverses de duplicité. Pour Elias, la véritable polarité ne se trouve pas entre le travail et les loisirs, mais entre ces derniers et la vie ordinaire, routinière et sécurisante, soumise à un fort contrôle des émotions et de l'expression des sentiments (15) . Ces pratiques facilitent l'expression de sentiments apparemment contradictoires, comme la peur et le plaisir, ainsi qu'une prise de risques à l'opposé de la sécurité, propre à la routine de la vie de tous les jours.  

La notion de loisir mimétique employée par Elias met l'accent sur la réalité des affects et des émotions suscitées. Ces loisirs font partie de la réalité sociale au même titre que les aspects de la vie ordinaire. Nous dirions avec Lupasco que l'art et les expériences esthétiques dépassent le clivage entre réel et irréel. Ces expériences constituent un "élan vers la liberté d'indifférenciation", vers l'inconditionné(16) , vers cette indétermination tellement recherchée par nos enquêtés dans leurs trajectoires vitales. L'indétermination travaille dans le sens de la multiplication de possibles, plus une situation ou un scénario virtuel est indéterminé, plus de mondes possibles, parallèles, peuvent les recevoir, c'est à dire à un moindre degré de détermination correspond un plus grand degré de compossibilité(17) . Cette dernière, la faculté de composer avec d'autres mondes et avec d'autres formes de reliance, de lien entre les hommes, est la condition de la création des possibles, si chers à nos jeunes enquêtés.  

Ces mondes parallèles se rapprochent de ce que Schütz appelle les "provinces limitées de signification" ou les "réalités sociales multiples". Chaque monde a un style cognitif particulier, auquel s'accordent toutes les expériences qu'il comprend, qui sont consistantes et cohérentes entre elles, bien que pas toujours tout à fait compatibles avec la signification de la vie ordinaire. A ce style cognitif particulier appartiennent une "tension particulière de la conscience", une forme dominante de la spontanéité, une forme spécifique de l'expérience du moi et de la socialité, ainsi qu'une perspective temporelle spécifique. Chacun de ces mondes reçoit un accent de réalité spécifique, "bien que ce ne soit pas l"accent de réalité du monde de travail" (18).  Les mondes parallèles mettent en évidence la multitude de réalités, de "vies", "partiellement fondées qui effleurent celle que nous appelons réelle". Les romans de Dick témoignent de ce caractère multiple de la réalité. Nous préférons sa manière de voir le passage d'un monde à l'autre par le glissement grâce à l'attention aux détails changeants, que celle de "saut" ou de "choc", selon l'expression de Schütz concernant le passage entre différentes "provinces" de la réalité. Ce dernier marque ainsi l'impossibilité de faire communiquer ces différents mondes, leur caractère incompossible, alors que ce n'est pas le cas dans l'exemple des mondes parallèles des jeunes enquêtés. Le monde actualisé dans l'instant présent ne fait pas disparaître ceux qui sont virtualisés. Lors des entretiens à la base de notre recherche, la comparaison entre ces divers domaines, entre le travail et les loisirs, qui nourrit les désirs et les expectatives témoigne de cette possibilité de communication, de compossibilité, entre des mondes distincts. La complexité du monde environnant et la difficulté d'avoir des certitudes quant au bien fondé de leurs choix, invite à garder le maximum des possibilités de choix et à relier autant l'expérience passée avec le présent et l'avenir, que les différents mondes qui se partagent le temps quotidien. 

Les pratiques de loisir constituent les mondes alternatifs de la "vraie vie ", de l'aventure vitale que l'ennui du travail et l'école révèlent. Leur altérité par rapport à la normalité est perçue et exprimée par les jeunes interviewés qui partent "dans une autre dimension" lors de rassemblements musicaux ou sportifs. Leur intérêt pour les arts ne vient pas du caractère "intellectuel", mais parce que ce sont des domaines où l'on vit d'une manière "plus fantastique, plus imaginative". Guyau rend compte du pouvoir qu'a l'art de libérer des mondes virtuels : "L'art ira ainsi doublant et triplant notre existence : une vie d'imagination se superpose à l'existence réelle, et c'est en elle que se répandra tout le trop-plein de nos sentiments ; elle sera la perpétuelle revanche de nos facultés non employées" (19) .  

La prise de drogues qui peut accompagner les sorties, les réunions avec des amis et aussi les moments de décontraction solitaire, entraîne l'expérience d'un temps différent, qui "descoloca" comme disent les jeunes espagnols de notre recherche, c'est à dire "déplace", le sens du temps. Cet ailleurs temporel, où les regards, les impressions, les pensées et les rêveries ne s'écoulent pas au même rythme ni à la même vitesse que dans les autres moments, sert à relativiser la valeur absolue de la conception temporelle dominante, avec sa chronologie et son horloge immuables. De même que le joint ou l'ecstasy relativisent les valeurs sociales dominantes quant à l'attitude à avoir avec son corps. Les diverses substances que l'OMS a bien voulu placer sous la catégorie de stupéfiants sont assez différentes entre elles, autant que leurs effets concernant l'écoulement de la durée. Les mondes parallèles du haschich et des ecstasy sont toujours en contact avec celui des sensations quotidiennes, leur étrangeté vient de cette familiarité, de cet entre-deux, une sorte d'intermonde où l'on sait être toujours ici avec ses proches, mais dans une dimension autre, comme dans les mondes des romans de Dick (20) . Dans ces derniers les états mentaux altérés créent à leur tour des réalités altérées aussi "réelles" que la "réalité fondamentale" de la vie ordinaire socialement définie et acceptée. 

A l'image des romans de Dick, ces mondes ont aussi leur côté obscur, leur ambivalence, comme le danger de passer à l'acte dans les loisirs mimétiques. Dans des situations d'effervescence on frôle les limites, ce qui provoque la crainte de ces jeunes, crainte et désir, attirance et répulsion, caractérisent leur attitude face à certaines pratiques de loisir à risque. Dans le cas des supporters de football, même ceux de nos interviewés qui ne font pas partie des groupes violents, comme les hooligans, reconnaissent le plaisir de se battre. Les supporters interviewés savent que les affrontements dans le stade ne sont pas systématiques, mais ils constituent un risque présent.  

La mise en scène du match crée une ambiance de violence virtuelle et bien qu'ils disent ne pas être partisans de tels comportements, ils sont prêts à se battre si la situation le demande, face aux "provocations". La violence s'exprime le plus souvent dans les symboles, les appellations des groupes et dans les propos insultants échangés entre supporters, ce qui électrifie l'ambiance et renforce le sentiment de vivre un temps exceptionnel, d'être dans un autre monde, proche du temps magico-religieux du rituel, dans l'espace clos, presque une arène, du stade. Le caractère imprévu des comportements violents, car on se trouve à la frontière de la violence symbolique prête à s'actualiser en violence des poings, accroît la crainte mais intensifie l'ambiance aussi. Olivier Cathus signale à propos d'autres types de loisirs, autour de la musique funk, cette ambivalence de l'effervescence qui prend corps dans la transpiration ; à la fois  peur, "sueur froide", et "âme-sueur", la chaleur intime et collective de l'ambiance qui permet de vaincre la peur (21) . 

Ces groupes ont un code implicite, dont les échanges d'injures font partie, auquel il faut se soumettre et qui marque aussi les limites avec le monde ordinaire. Le secret constitue un élément important de ces communautés, autant pour se protéger de la police et du sensationnalisme journalistique que pour resserrer les liens des membres. Le secret qui enveloppe l'organisation des raves, des fêtes techno, est un exemple du même phénomène. La loi du silence sert à la formation et la reconnaissance au sein de la "famille" des supporters ou de ravers, ainsi qu'à la résistance et à la ruse face aux desseins de contrôle des pouvoirs publics. Ils suivent l'essence de la société secrète d'après Simmel : l'autonomie, voire l'anarchie, en tant qu'ordre sans Etat, monde déréglementé. Quand on ne fait pas partie de tels groupes ce code de comportement est ressenti avec gêne, preuve de la mainmise et de la puissance du groupe. En renonçant à une certaine autonomie individuelle, en adhérant aux intérêts du groupe, on est capable de faire des choses impossibles autrement et on jouit d'une liberté à l'égard de certaines contraintes qui s'imposent aux individus normalement. Ces groupes reconnaissent la duplicité de leurs membres, le caractère non-absolu de son monde. Une adhésion totale en tout temps et situation n'est pas recherchée, mais ils demandent l'homogénéité lors des rassemblements. Les éléments qui risquent de créer des différences se doivent d'être bannis. Les supporters de football de notre enquête condamnent l'affichage des idées politiques dans le stade au nom de la solidarité du groupe, non en raison de leur contenu mais parce que ces appartenances sont susceptibles d'amener le conflit et la division à l'intérieur du groupe. 

En plus des loisirs collectifs décrits, une certaine activité contemplative, ces moments passés à ne rien faire, bercé par le rythme de la fumée et de la rêverie dont parlent nombre de nos interviewés, opère le glissement dans les mondes parallèles de l'imagination. Outre la rêverie, les mondes de la fiction, littéraire, cinématographique, mais aussi les fictions de la BD, les jeux vidéo et informatiques constituent aussi des mondes parallèles. Le cinéma est un des loisirs les plus cités dans les entretiens. C'est une activité qui rythme aussi le temps à sa façon, à mi-chemin entre l'intimité et l'être ensemble, la solitude et le partage. Ainsi les spectacles, grâce à leur temps concentré, d'une grande intensité et suivant des rythmes brisant la monotonie rythmique du temps ordinaire, relèvent du temps magico-religieux qui produit une grande résonance chez le spectateur. Les médias ayant l'image comme support, opèrent aussi une suspension de l'écoulement de la durée grâce à l'ubiquité et à la simultanéité qui préside à la production et à la transmission des images. Nous pouvons ajouter à cette temporalité spectaculaire de la transmission d'images la pratique d'Internet. Ce sont des manières différentes d'expérimenter le temps en dehors du temps chronologique, qui, à l'image des détournements temporels de la science-fiction, explorent les traits non linéaires du temps occultés par le temps historique.  

L'expérience esthétique est en contraste avec les expériences quotidiennes, l'horizon d'attente de l'oeuvre, du livre dans l'occurrence, n'est pas le même que celui de la vie quotidienne. Cette expérience suppose un éloignement. Ricoeur caractérise l'expérience esthétique par la catharsis, qu'Elias applique aussi à l'ensemble des loisirs mimétiques. Ceux-ci peuvent être considérés comme des expériences esthétiques au sens large, des expériences où l'on éprouve des affects en commun. La catharsis n'est pas seulement un processus de transformation affective, mais cognitive. L'aísthesis, sous la forme de la réceptivité, de l'ouverture à l'oeuvre, au spectacle ou à la communauté de loisirs, libère le lecteur ou le spectateur du quotidien, opère un travail de distanciation, et la catharsis "le rend libre pour des nouvelles évaluations de la réalité" (22) . Car ces constructions de l'imaginaire et ces passages par des mondes fortement effervescents ne sont pas que des simples échappatoires. Ils ont des effets positifs sur le monde ordinaire des activités raisonnées. Le monde du texte, du spectacle, de la rave ou du match sert de révélateur et de transformateur du quotidien. Ricoeur relève, dans la médiation constituée par la lecture entre le monde de la fiction et le monde quotidien du lecteur des effets positifs allant de la séduction et de l'illusion, à la subversion et à l'utopie en passant par l'apaisement de la souffrance et l'esthétisation de l'expérience passée. Autant d'exemples de l'efficace de l'imaginaire qui peuvent être trouvés dans les autres situations citées. L'expérience esthétique contient un pouvoir de contraste qui facilite la distanciation à l'égard de nos affects, précédant l'identification à un héros ou à un groupe. Dans ce moment contradictoriel d'affrontement et de liaison de deux mondes se produit une interruption des actions ordinaires, mais aussi une relance vers l'action qui souligne l'efficace de l'imaginaire. Les possibilités figurées dans les mondes parallèles de l'imaginal donnent de la chair aux attentes qui guident les initiatives. 

 

Les mondes parallèles comme hypothèses de vie

L'énoncé de conjectures, l'invention de possibles, la fabrication de mondes, sont au coeur de la création littéraire de la science-fiction. L'expérience à la base du récit n'est jamais complète, le décalage entre le réel et sa connaissance est toujours ténu. Elle est "l'expérience-en-fiction d'une fiction", problématique et probabiliste (23). Pour les jeunes de notre enquête l'ivresse de l'abondance des choix virtuels protège de l'insatisfaction des voies uniques (24) . Se donner une multiplicité de scénarios, "un tas d'éventails possibles", à l'heure d'imaginer l'avenir, tout en restant attentif aux "offres de la vie", cela constitue une stratégie pour éviter l'échec. Ce dernier oblige à la reprise, à la formulation de nouvelles hypothèses et tentatives. Dans le cas de ces jeunes ces hypothèses sont formulées avant que l'échec arrive, ainsi, le cas échéant, on pourra éviter le découragement et l'impression de vide qui suivent les projets échoués. 

Cette manière de mettre toutes les voies possibles sur le même plan, et de considérer qu'on peut revenir sur le passé afin de reprendre les choix délaissés est une manière d'élargir et d'enrichir le présent. Au lieu de choisir entre des possibilités simultanées, ou...ou..., on les rend successives, et...et.... Mais il s'agit d'une sorte de succession coexistante, comme si le passé et le présent coexistaient virtuellement dans un même plan, à l'image de la réalité dickienne ou des univers simultanés s'enchevêtrent. Ainsi, devant l'alternative : poursuivre des études ou chercher un travail à plein temps, on peut choisir un des deux, commencer à travailler sans faire pour autant disparaître l'autre terme du choix. Il reste comme une virtualité que l'on peut toujours actualiser, se réinscrire à la faculté à la rentrée, et qui coexiste avec notre présent de travailleur. 

La notion de projet change de sens, il se multiplie dans un ensemble de scénarios virtuels, fabriqués en partie par la rêverie. Un jeune interviewé parle même de projets "inconscients". Ils servent à élargir le présent, et non plus à rentrer dans l'avenir. Le projet s'objective. Schütz différencie le choix parmi des objets alternatifs qui coexistent simultanément dans le temps extérieur et le choix entre des projets créés successivement dans le temps intérieur de la durée (25) . Or ces jeunes traitent les projets comme des objets virtuels coexistants, ce qui fait rentrer le temps extérieur dans la durée subjective. Mais même sous cette forme le projet représente à leurs yeux un appauvrissement, une limitation par rapport aux possibilités imaginaires à venir. Nombreux sont les jeunes enquêtés qui, après avoir énoncé leurs projets ou souhaits pour le futur, manifestent une impression d'ennui et de limitation. 

Le projet perd aussi son caractère individuel. Les projets de ces jeunes concernent pour la plupart le groupe, dont ils raffermissent les liens affectifs. La complexité de l'environnement se reflète dans la complexité identitaire des jeunes, qui veulent faire coexister, maintenant et dans l'avenir, les différentes facettes de leurs vies, avec leurs logiques et horizons temporels divers, sans établir un principe de hiérarchisation qui ordonne cette multiplicité. Cette multiplicité d'horizons est accrue par celle des autres, les amis avec qui on veut faire et partager le temps. Les amis sont aussi importants, sinon plus, que le couple ou la famille, dans la façon ou l'impossibilité d'imaginer l'avenir. L'idéation du futur devient d'autant plus difficile que ces jeunes prennent en compte non seulement leurs amis actuels, mais ceux qu'ils espèrent rencontrer dans l'avenir. Ceux-ci sont les "membres virtuels" des groupes dont ils font partie maintenant, ceux qui partagent leurs intérêts et qu'ils n'ont pas encore rencontré. 

Garder l'avenir ouvert, multiplier les virtualités, les conjectures, les mondes parallèles, c'est une manière de perdurer dans la jeunesse, puisque l'épuisement des possibles et la transformation de l'espérance en regret est le signe du vieillissement.  Le devenir adulte, le fait de mûrir, est vécu comme l'impossibilité de garder cette duplicité. 
 

Empathie et création de mondes

L'empathie, sous les formes de l'amour et de la caritas, est l'attribut humain fondamental dans les romans de Dick. Ainsi, la capacité à faire preuve de sollicitude et à partager des sentiments d'autrui est ce qui différencie l'homme de l'androïde dans Blade Runner. La vraie "réalité fondamentale" n'est pas absolue, perceptive ou métaphysique, mais éthique et empathique, le fruit de la connexion, du recoupement  de différentes subjectivités (26) . D'ailleurs, les mondes strictement individuels, des configurations du réel qui suivraient les désirs et les intentions d'une seule personne, ne peuvent être que des univers cauchemardesques, comme le montre avec talent le roman de Dick L'Oeil dans le ciel. Au sein de notre enquête, non seulement les groupes organisés comme les supporters, mais aussi le groupe d'amis, de pairs, contribuent à la création de ces mondes.  

La socialité est un élément clé des activités de loisir. Elias parle de communautés (Gemeinschaften) de loisir où l'intégration des membres se fait avec un niveau d'affectivité déclarée différent, plus intense, que celui considéré comme normal dans les autres relations sociales. Ce sont des communautés momentanées, éphémères et complémentaires des sociétés (Gesellschaften) de non-loisirs (27) . Pour les jeunes l'importance du groupe de pairs, de l'esprit communautaire, dépasse le cadre des loisirs. Ces groupes illustrent l'affrontement collectif du destin, qui se trouve dans l'expression et l'impression d' "être accompagné" dans le devenir, de ne pas avoir grandi tout seul, mais accompagné par des amis depuis l'enfance. Ce groupe de pairs continue d'être la référence à l'heure de faire face à un devenir adulte incertain.  

L'élargissement du présent de chacun se fait grâce aux horizons, aux mondes, des autres. La communication et les échanges produisent et reproduisent des situations électives, des choix multiples. La communication définit le présent pour les acteurs, fournit les conditions de simultanéité et donne l'opportunité d'une extension du temps sans sortir du présent, puisqu'elle rend accessibles les horizons temporels des autres dans un présent contemporain. Cela nous ramène au rôle d'autrui, décrit par Deleuze en relation au roman de Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique (28) . Autrui énonce l'existence du possible, du virtuel. Les autres expriment les mondes possibles. L'Autrui a priori, est la structure du champ de perception qui assure les marges et les transitions dans le monde, "la douceur des contiguïtés et des ressemblances". C'est aussi par l'autre que passe le désir, que celui-ci reçoit un objet. L'importance accordée par les jeunes aux autres, amis et amours, actuels et virtuels, et aux désirs, individuels et communs, ainsi que le dessein de ne pas réduire la multiplicité de possibilités, de présents futurs, sont ainsi intimement liés (29) .  

L'expérience du nous décrite par Schütz constitue aussi l'expérience ensemble de la durée, par la synchronisation des durées intimes dans la relation  "nous" qui fait la communauté, mais aussi dans la relation de contemporanéité avec ceux qui ne sont pas physiquement présents, avec ce qu'il appelle nos "futurs partenaires", ceux dont nous savons, par une connaissance indirecte que leur expérience est coexistante à la notre (30) , et que nous pourrons appeler des autres virtuels, les rencontres à venir et celles du passé. En outre, cette prise en considération des rencontres à venir témoigne d'une acceptation et d'une prise de conscience du devenir, de ce que le temps va amener et va faire disparaître aussi. 

Les héros des histoires de Dick sont souvent des réparateurs, des bricoleurs qui maintiennent les objets environnants en état, qui empêchent les choses de régresser, qui luttent ainsi humblement contre l'entropie. Ils essayent de maintenir le statu quo sans tomber dans l'arrêt du temps, dans la fin de l'expérience et de toute nouveauté, dans la psychose où plus rien n'arrive. Les stratégies temporelles des jeunes de notre étude peuvent être aussi entendues comme des tentatives de conserver le présent, l'indétermination de la jeunesse, de suspendre le temps, tout en attendant et facilitant les surprises, les rencontres, les découvertes, qui apportent son lot de nouveauté au devenir et entretiennent l'univers de possibles.  Amparo Lasén, 1998


Cet article a été publié dans la revue Sociétés, 1998

Notes :

  1. °1 Cet extrait appartient à un entretien avec Juanjo, un jeune journaliste madrilène, et fait partie du corpus d'entretiens de ma recherche de doctorat sur les temporalités des jeunes de Paris et de Madrid.  
  2.  °2 La phrase de l'écrivain  J-C. Ballard dans la préface de son roman Crash, illustre parfaitement notre propos, « Nous vivons à l'intérieur d'un énorme roman. Il devient de moins en moins nécessaire pour l'écrivain de donner un contenu fictif à son oeuvre. la fiction est déjà là. »  
  3.  °3 P. K. Dick,  « Si vous trouvez ce monde mauvais vous devriez en voir quelques autres », conférence donnée au Festival de Metz  le 24 septembre 1977, publiée dans Total Recall, Paris, Christian Bourgois, 1991, pp.299-341. La plupart de l'oeuvre de cet auteur est traduite en français dans les différentes collections de poche s.-f. : «Présence du futur», «Le livre de poche», «10/18», «J'ai lu», «Presses-Pocket» ; on peut consulter aussi la biographie d'Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts. Philip K. Dick 1928-1982, Paris, Seuil, 1993, où l'on suit les fils qui relient la vie de l'écrivain au contenu de ses romans.  
  4.  °4 G. Deleuze, Le pli. Leibniz et le baroque, Paris, éd. de Minuit,1988,pp.108-109.  
  5.  °5 H.Corbin, Corps spirituel et Terre céleste. Paris, Brechet/Chastel, 1979, 2e éd. révisée.  
  6.  °6 R. Caillois, «L'homme et le mythe», Recherches Philosophiques, 5, 1935-1936, pp. 260-261.  
  7.  °7 P. Sansot, « L'imaginaire : la capacité d'outrepasser le sensible », Sociétés, n°42, 1993, p.411.  
  8.  °8 M. Maffesoli, Au creux des apparences, Paris, Plon, 1990, pp. 107, 110.  
  9.  °9 L.-V. Thomas, Anthropologie des obsessions, Paris, L'Harmattan, 1988, p.28.  
  10.  °10 Denise TERREL, « Les représentations du temps dans la littérature de science-fiction », sous la dir de Lambros COULOUBARITIS et Jean-Jacques WUNENBURGER, Les figures du temps, Presse Universitaire de Strasbourg, 1997, pp. 195-208. Cf. aussi sur le traitement du temps dans la s.-f. Louis-Vincent THOMAS, Fantasmes au quotidien, Paris, Librairie des Méridiens, 1984.  
  11.  °11 Ricoeur, op. cit., pp.245-246, 484.  
  12.  °12 Entretien de Philip K. Dick par D. Scott Apel et K.C. Briggs, 1977, dans Hélène COLLON, Regards sur Philip K. Dick. Le kaleïdoscope, Amiens, Encrage, 1992, p. 90.  
  13.  °13 L.-V. Thomas, Anthropologie des obsessions, op.cit., pp. 14, 23.  
  14.  °14 E. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1960, (4e éd.), p.324.  
  15.  °15 N.Elias et E. Dunning, Sport et civilisation, Paris, Fayard, 1994, pp. 62, 92, 107.  
  16.  °16 S. Lupasco, Logique et contradiction, Paris,  PUF, 1947, p. 165.  
  17.  °17 G. Lardreau, Fictions philosophiques et science-fiction, Arles, Actes Sud, 1988, pp. 149, 161.  
  18.  °18 A. Schütz, Le chercheur et le quotidien, Paris, Méridiens Klinsieck, 1987, pp.132-133, voir aussi P. Berger et T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, Méridiens Klinsieck, 1996 (2e éd.), pp.34 et ss.  
  19.  °19 Guyau, Les problèmes de l'esthétique contemporaine, op. cit., p. 11.  
  20.  °20 L'auteur met en scène la démultiplication de la réalité grâce à la prise de substances qui l'altérent dans Substance morte et Le Dieu venu de Centaure, grâce à des univers-ersatz dans Ubik ou L'Oeil dans le ciel, et à des états mentaux schizoïdes dans Glissement du temps sur Mars et Les Clans de la lune alphane.  
  21.  °21  O. Cathus, « L'âme-sueur (Funk et effervescence) », Sociétés, n°46, 1994, pp. 345-355.  
  22.  °22 Ricoeur, op. cit.., p.323.  
  23.  °23 Lardreau, op. cit., pp. 112-113.  
  24.  °24 Un jeune « internaute » interviewé par le journal Libération (jeudi, 16 février 1995) répond ainsi à la question de savoir si ce n'est pas un paradoxe d'être des « gays hyperactifs » dans le réseau et de vivre toujours gentiment chez ses parents : « A vivre dans un monde virtuel, vivons-le jusqu'au bout. Le fossé avec la réalité se creusera encore avec l'évolution des technologies de communication. je n'y vois pas d'inconvénients ».  
  25.  °25  Schütz, « Chosing among Projects of Action » in Collected Paper, The Hague, Martinus Nijhoff, 1964, pp. 84-85.  
  26.  °26 N. Spinrad « La transmutation de Philip K. Dick » in H. Collon, op. cit., pp. 41-56.  
  27.  °27 Elias et Dunning , op. citIbid., pp. 164-166.  
  28.  °28 G. Deleuze, Logique du sens, Paris, Minuit, 1966, pp. 350-372.  
  29.  °29  L'importance des semblables, du groupe des amis pour les jeunes de cette génération est aussi mise en avant par la littérature. Des romans des jeunes écrivains espagnols et français, mais aussi anglo-saxons, en sont l'exemple, ainsi nous pouvons citer en Espagne Historias del Kronen de J. Mañas et Matando dinosaurios con tirachinas de Pedro Maestre, en France, Etonne-moi de Guillaume Le Touze, les britanniques La couleur du souvenir de Geoff Dyer ou Trainspotting d'Irvine Welsh, et l'américain très médiatisé Génération X de Douglas Coupland. Ce sont des romans très différents qui ont en commun de donner le protagonisme, pour le meilleur et pour le pire, au groupe d'amis, que ce soit dans des ambiances de drogue et chômage ou de jeunesse dorée, dans des mégapoles ou dans des villes de provinces. Malgré la différence des ambiances, de lieux et de style des auteurs, ces récits ont en commun de ne plus raconter les histoires des individus seuls face au monde. Ce sont des romans de jeunes, des Bildungsroman contemporains où les héros ne sont plus seuls face au monde, ne portent plus un regard individuel sur leus environnement, mais un regard commun, avec les bonheurs et les conflits que cette forte présence du groupe entraîne.  
  30.  °30 Schütz, « The Dimensions of the Social World» in Collected Papers, op. cit, pp. 26, 41-42.