" Vive le peuple brésilien "

Le Brésil pays du présent Juremir Machado da Silva Ed. Desclée de Brouwer Paris, 1999

Comme le dit si bien Edgar Morin dans sa préface au livre de Juremir Machado Da Silva : "il faut parfois se plonger dans la regard des autres pour reconnaître les limites de notre propre regard sur les autres". Vu d'ici, le Brésil est souvent perçu comme le pays du football, du samba et de la misère des favelas. Le livre de Juremir Machado Da Silva s'attache à montrer que derrière ces clichés révélateurs d'une certaine réalité brésilienne, qu'il ne cherche en aucun cas à masquer, se cache en fait une réalité beaucoup plus complexe et contrastée qu'il n'y paraît. Son étude déroulée sur près de 500 ans d'histoire, de l'arrivée des Portugais à nos jours dévoile à travers le prisme de sources multiples et diverses, l'irrépressible " présentéisme " du peuple brésilien, agissant à rebours des discours obsédants et désincarnés des élites intellectuelles, politiques et religieuses de la nation attachées à vendre depuis des lustres le mythe d'un futur et de lendemains qui chantent.

 

Au travers d'un examen minutieux de la vie quotidienne au Brésil que ce soit sur l'ensemble du territoire, de Rio à São Paulo en passant par Porto Alegre, ville d'attache et de coeur de l'auteur et des exemples tels que l'étude des Télé Novelas, du syncrétisme religieux et de l'explosion des sectes et des nouvelles églises réformées mais aussi des tribus rock adolescentes, Juremir Machado Da Silva dresse l'inventaire de ces pratiques populaires, si enclines à déjouer les pronostics des intellectuels officiels du Brésil. Son étude compréhensive et exhaustive, au carrefour de l'histoire et de la sociologie dévoile le fossé qui se creuse irrémédiablement entre les élites et les " hommes sans qualités ". À force de ne pas vouloir prendre en compte cette réalité complexe d'un pays si métissé et tant contrasté économiquement ou culturellement parlant, si bien décrite en son temps dans l'oeuvre de Gilberto Freyre Maîtres et Esclaves, dont le présent ouvrage se rattache par bien des points, l'auteur analyse en fait que cette incompréhen- sion, réactivée par les critiques incessantes du rôle des médias au " pays du carnaval " , censés " abrutir " le peuple, sert surtout de paravent à l'incapacité et à l'indifférence des classes dominantes pour le peuple, sans parler de la volonté très restreinte de réduire les inégalités sociales et économiques du pays.

 

Juremir montre toute l'ambivalence du Brésil, notamment celle du rôle des médias, agents du conservatisme social et producteurs de " vibrations " chaque soir par le biais des feuilletons . Nous retrouvons dans cet ouvrage aussi bien les joies et les espoirs que les peines, la pauvreté et les souffrances d'un pays plongé tout entier dans un vaste laboratoire postmoderne pour le meilleur et pour le pire. C'est à ce titre également que le livre de Juremir Machado Da Silva est une grande réussite. Il réussit le tour de force de démontrer toute la richesse et la prégnance pour la sociologie aujourd'hui que recouvre l'étude d'un pays qui pourrait nous sembler de prime abord tant distant du notre. Juremir Machado Da Silva à travers l'étude de son pays qu'il connaît sur le bout des doigts, arrive à atteindre et à décrire l'universalité d'un nouvel art de vivre au présent, vécu en commun autour de valeurs symboles et de totems déclinés à l'infini. En ce sens, la vie à Rio ne diffère guère de celle de Paris ou New York, les gens jonglent au-delà de l'économique et tentent par la ruse et la dérision de déjouer les pièges contenus dans cette plongée vers l'inconnue qu'est la vie " postmoderne ". Un livre passionnant qui restitue toute la passion et la complexité d'un peuple si attachant. " Vive le peuple brésilien ".

 

Bertrand RICARD

Docteur en sociologie