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Parce que le Gredin croit aux vertus
positives et revivifiantes de l'effervescence, nous ne pouvons
abandonner cette notion entre les seules mains des prophètes
du tout-à-l'aliénation et de leurs ennemis fascisants.
De toutes façons, qu'elle soit festive ou guerrière,
l'effervescence leur glissera toujours entre les mains... Nous
mêmes, plutôt que de jouer les pêcheurs d'anguille,
préférons illustrer ici ces fameuses vertus que
nous lui aimons, la fête et l'ouverture sur l'autre...
Nous nous proposons de lever dans ce bref article quelques malentendus relatifs à l'effervescence. En prenant pour exemples la fête provoquée par la victoire française au Mondial 98 et la foi dans les tambours et le métissage du musicien bahianais Carlinhos Brown, nous illustrerons combien cet état collectif peut être une ouverture vers l'autre et un moment positif de la vie sociale. Travaillant depuis une dizaine d'années sur le thème de l'effervescence au sein du G.R.E.D.I.N. (1), nous sommes évidemment avertis de l'ambivalence de l'effervescence, état collectif ayant sa face positive et aussi une autre, plus sombre. Dès lors que l'on reconnaît des manifestations de l'effervescence tant dans la fête que dans les conflits, la question n'est donc pas de se poser en « partisan » de l'effervescence. Pour cette raison, la notion d'effervescence, si importante chez Durkheim, ne doit pas être uniquement récupérée par certaines interprétations critiques d'inspiration marxo-freudienne la réduisant à une « manipulation politique des masses » ou encore à des « formes délinquantes graves »(2) et, pire encore, par les théoriciens d'extrême-droite qui ne rêvent que de mettre en pratique ce type de manifestations exaltées par un idéal commun. S'il convient effectivement d'être vigilant à l'égard de ces tentatives de manipulations ou aux dangereuses dérives fascistes, il ne faut pas pour autant tout mélanger. Ainsi nous ne nous attarderons guère à commenter les travaux de Jean-Marie Brohm en la matière, tant sa posture intellectuelle, par trop méprisante à l'égard des masses, le conduit à un criant manque de discernement et n'est tout simplement pas compatible avec une réelle réflexion sociologique. Certes, les mouvements collectifs exercent une évidente fascination sur les représentants du pouvoir politique. Qui d'entre eux ne rêverait pas de savoir les actionner à sa guise, et tenir la foule comme une marionnette agitée par le fil à la patte de son bon vouloir ? Si le pouvoir en place cherche le contrôle des populations qu'il dirige, on ne s'étonnera pas que ses apprentis-sorciers s'escriment à apprendre comment manipuler les foules. Les régimes les plus épouvantables et totalitaires s'avisèrent donc de mettre les masses au pas et les mises en scène monumentales du IIIème Reich et de l'Italie fasciste en sont probablement l'image la plus troublante. Si les participants en ressentaient une forte exaltation, alors oui, peut-être était-ce aussi une forme d'effervescence... On peut aussi se demander si cette version disciplinée n'est pas plutôt son contraire, en quelque sorte. En effet, la mise au pas d'une foule n'implique pas nécessairement qu'elle soit plongée pour autant dans un état d'effervescence. Ce qui, au final, conditionnera leur état mental collectif est plutôt leur adhésion ou non aux valeurs et aux buts vers lesquels est tendue cette marche au pas. Dans ces moments-là, on peut parfois trouver, derrière le conformisme des actes, un esprit critique qui, par prudence, préfère avancer masqué mais n'en pense pas moins. Le décorum, la force de l'ambiance, la pression du groupe peuvent aussi avoir un effet d'entraînement mais, encore une fois, le surgissement de l'effervescence est plus complexe. De même qu'il ne suffit pas d'aller à la messe pour trouver la foi, ce n'est pas en étant au milieu d'une foule animée d'une passion commune que l'on va obligatoirement la partager si l'on y est a priori réfractaire. Et, en aucun cas, on ne saurait réduire à cela l'effervescence. Car, tout d'abord, l'effervescence est un état propre à toute vie sociale et, donc, bien antérieure à toute tentative de récupération et de manipulation. Ensuite, concernant ces récupérations, nous avons déjà pu voir à quel point les cultures populaires musicales (funk, rock, techno, hip-hop par exemple) en sont conscientes (3). Leur créativité est sans cesse aiguillonnée par ces tentatives de récupération et les artistes se situent en permanence par rapport à elles, soit par la dérision, soit par le durcissement des propos, ou encore en en profitant. Ce qui donne lieu à une course-poursuite permanente entre les cultures populaires et les mass-médias, lesquels ont toujours un train de retard. Chaque musique a ses « faux » et les acteurs d'un mouvement musical dénoncent ce « placebo syndrom », pour reprendre la formule de George Clinton. Dans les années soixante-dix, déjà, ce gourou du funk psychédélique, jamais en manque de formules, organisait les albums des groupes Parliament et Funkadelic autour de cette idée simple : le « méchant » s'essaie à hypnotiser les foules par un ersatz de funk, le « placebo syndrom », par exemple, que les vrais et purs « funkateers » venaient combattre, armés de leur seul groove authentique, afin de libérer les consciences aliénées. Aujourd'hui, dans le cas du hip-hop par exemple, la plupart des rappeurs ne manquent jamais de se situer par rapport à cette médiatisation-récupération, soit pour rebondir, soit pour en profiter.
Mais laissons là les phénomènes de récupération et les tentatives de manipulation. Attachons-nous maintenant à illustrer combien ces moments sociaux d'effervescence peuvent être spontanés (et donc mystérieux) et correspondre au temps de l'ouverture sur l'autre, au temps de la disponibilité et du métissage. Au temps d'un joyeux désordre. Alors que l'on n'a souvent voulu décrire l'effervescence que sous le visage du « même » et de l'ordre, ici l'ordre étant l'ombre, nous nous attacherons à en montrer la face de désordre et de son attirance pour l'autre. Emile Durkheim a posé la notion d'effervescence sur des fondations établissant la parenté et les similitudes entre les fêtes religieuses ou profanes, Jean Duvignaud nous a ensuite montré que, dans ces cérémonies religieuses, prévaut aussi parfois le désordre : « les anthropologues nous ont accoutumés à croire que les cérémonies sacrées étaient des célébrations respectées et soigneusement codifiées. Rien ne rappelle pourtant l'ennuyeuse ordonnance de nos parades militaires, de nos offices religieux : la gravité, le respect sont choses d'Occident. Ici (en Casamance, lors d'une danse de mort, ndla), le trouble, le vague, le trébuchement, la voix fausse, la distraction font partie de l'animation commune : quelle règle, fut-elle sacrée, est réellement respectée, suivant le scénario reconstruit par des observateurs européens ? »(4)... Sans aller jusqu'à essayer de montrer que l'effervescence « disciplinée » tient plus du fantasme que de la réalité, nous entendons illustrer à quel point ce désordre est partie intégrante de l'effervescence. Inévitablement elle vient rompre l'ordonnancement du quotidien, soit par le biais d'un renversement des valeurs en place, soit par l'exagération de ce qui fait ce quotidien. Peut-être y a-t-il eu un recours exagéré, voire systématique, à ce fameux renversement des valeurs dans nombre d'analyses, concernant par exemple le carnaval. Pour Juremir Machado da Silva, il serait plus juste de dire qu' « il ne s'agit pas d'un changement de valeurs, les gens vivent cela même au quotidien, mais lors du carnaval à un autre degré. D'ailleurs, l'effervescence du carnaval ressurgit de temps à autre au cours de l'année »(5), en aucun cas il ne saurait être question de distinguer fête et quotidien, ce qui reviendrait à nier le présent. Par contre, dans certains cas, nous pourrions emprunter à Gilbert Durand les notions de « processus de double-négation » et d'« euphémisation » (6) : ce qui est redouté est adouci en plaisir ou sujet à une inversion sémantique. Dans nos recherches sur la musique funk, nous avons ainsi constaté combien la sueur, stigmate des laborieux et des humbles, a pu devenir un élément constitutif de la fête, participant à l'apparition d'une âme collective (l'âme-sueur), pour n'être plus trace corporelle de la peur de l'esclave noir devant son maître (7). Il en va de même avec le bruit. Son exagération, le haut volume sonore des soirées et concerts, qu'ils soient funk, rock, techno ou hip-hop, deviennent là encore des ingrédients de l'effervescence festive (8)... Nous avons essayé de faire le point et de dissiper certains malentendus relatifs à l'effervescence. Nous allons donc maintenant illustrer tout ceci...
Si nous souhaitions être provoquants, nous dirions qu'il en est de l'effervescence comme du drapeau français, il faut se les réapproprier. À vrai dire, c'est bel et bien ce qui s'est produit. Et leur réappropriation s'est faite d'une pierre deux coups, dans un même élan. Quand ? N'ayant aucun suspense à entretenir, autant le dire de suite : à l'occasion du Mondial 1998, bien sûr, quand la France a battu le Brésil sur le score de 3-0, en finale. Évidemment, cette Coupe du Monde, certains en sont lassés et, passé l'intense frisson du moment, s'horripilent même peut-être qu'un tel événement puisse être aussi péniblement rabaché car, se disent-ils, ce n'était que du football après tout. Eh bien non, ce n'était pas que du football. C'était beaucoup plus que cela, c'était de l'effervescence et encore de la plus belle. La soirée et la nuit du 12 juillet 1998 furent des moments incroyables que certains observateurs sont allés jusqu'à comparer à la liesse de la Libération. Nous-mêmes, au GREDIN, en dix ans d'existence, n'avions encore jamais été témoins d'une telle effervescence. Nous avons été servis de la plus belle façon. Il faut également rappeler que, ne serait-ce qu'une semaine avant, l'on n'aurait pas osé imaginer un tel enthousiasme collectif. Les joueurs de l'équipe de France, quelques jours avant la finale, s'inquiétaient encore du soutien du public du Stade de France qu'ils trouvaient amorphe. Fabien Barthez s'en plaignait même ouvertement : « Ce n'est pas un concert de classique, avec les flûtes ! Alors, il faut laisser la cravate à la maison, gueuler tout le temps. Je ne sais pas, moi, qu'ils viennent en jean et baskets, que les gens se lâchent comme les vrais supporters qui sont sur les Champs-Elysées ou dans les petits villages. Donnez-leur des drapeaux, des maillots, des trompettes... »(9).
Pendant le match, chacun des trois buts fut ponctués de millions de cris de joie et, dès le coup de sifflet final, on se pressait dans les rues, sur les places. À Paris, de partout, la foule convergeait vers le centre, vers les Champs-Élysées. Paris comme jamais nous ne l'avions vu auparavant (pas nés à la Libération, trop jeunes en 68). Les voitures qui s'arrêtent et klaxonnent, les chants, la musique, la danse bras dessus-bras dessous. Comprenons-nous bien, il y avait bien entendu des profiteurs sur le coup, ne serait-ce qu'Adidas qui ne se gêna pas pour projeter son slogan sur l'Arc de Triomphe, mais l'essentiel n'était pas là. L'essentiel, c'était cette effervescence proprement étonnante. L'essentiel, c'était de voir les couleurs tricolores et les drapeaux dans la foule, les drapeaux français mélangés aux drapeaux marocains, algériens, brésiliens. La portée symbolique était là, et elle était de taille. Le contexte ? Rappelons tout de même que depuis presque vingt ans, c'est-à-dire depuis l'émergence du Front National sur la scène politique française, on constatait cruellement que les couleurs nationales avaient été « récupérées » par ce parti. Il était quasiment parvenu à se les ré-approprier. Il existait une réelle fracture, un détachement à l'égard de ce symbole. Les couleurs tricolores ne signifiaient plus que le douteux et le xénophobe. Or, ce 12 juillet 1998, c'est toute la jeunesse métissée du pays qui faisait sienne ces couleurs. Enfin. Bien entendu, ne soyons pas naïfs pour autant. On ne résout rien en une seule fois. Néanmoins reconnaissons la forte charge symbolique de ce geste : un pays qui se découvre métissé et fier de l'être, qui prend conscience qu'être Français, c'est aussi être fier de ses différences, de sa variété d'origines, à l'image de ces Bleus de l'équipe de France. Il y avait bel et bien tout ça dans cette nuit du 12 juillet et ce n'est pas une analyse, elle serait d'un piètre niveau, juste un constat, d'où cette impression de « cliché », liée au fait que ces événements ont déjà été sur-abondamment commentés dans les médias. Il faudrait interroger le motif de la présence de ces millions de Français dans les rues cette nuit-là. Quel est-il ? Champions du monde ? Oui, assurément : « et 1, et 2, et 3-0, champions du monde !!! », c'était un des cris de ralliement de cette nuit... Le triomphe de valeurs de la France « du bas » (travail, humilité) prônées par Aimé Jacquet, sur celles de la France « du haut », comme on a parfois pu l'entendre dire ? La France tricolore black-blanc-beur ? Aussi. Cela reste les plus plausibles des motifs. Confessons bien que nous n'en sommes là qu'aux suppositions et nous en resterons aux suppositions tant que nous n'aurons pas, au préalable, réalisé un solide travail de terrain. Entretemps demeure la fascination que doit ressentir probablement tout sociologue face à la force de ce mouvement collectif et, surtout, à la rareté de mouvements d'une telle ampleur. De même, cette nuit restera troublante par le « bon esprit » qui l'anima. « Bon esprit » est un terme qui garde son flou, ses contours vagues, c'est un terme du tout-venant, familier, et c'est pour cette raison que nous l'employons. Il convient au mode de l'observation-participante, ici même participation-observante, et au caractère saisissant du phénomène : le pays était bel et bien dans la joie et le « bon esprit ». En effet, considérant les probabilités que de tels rassemblements spontanés dégénèrent, il est étonnant de constater à quel point les habituelles tensions et débordements restèrent à l'écart de cette fête du 12 juillet.
Enfin, nonobstant son caractère intrinsèquement éphémère, il est important de relever les effets diffus et post-festum d'un tel événement : cette nuit-là a « fait du bien ». Permettons-nous encore une fois d'user d'une expression familière car c'est la plus juste qui convienne en l'occurence, « faire du bien ». Par la fête qu'il a fait en cette occasion, le pays s'est « fait du bien ». Il semble en être sorti comme épanoui, détendu, regaillardi... Comment peut-on affirmer cela ? Nous pourrions chercher à interpréter les sondages politiques au sortir de l'épreuve, y voir effectivement la trace d'une nouvelle fierté métisse du pays (Le Pen étant le seul à baisser à cette époque), même pas. Non, ici nous utilisons la fibre sensible du sociologue, nous n'avons pratiqué que l'indispensable et aléatoire exercice du sentir de l' air du temps. Et l'air du temps nous paraissait suffisamment éloquent pour nous ramener à Durkheim et mesurer combien il est indispensable à quelque groupe social que ce soit de connaître ponctuellement ces manifestations d'effervescence, et d'apprendre à se connaître par elles. Afin d'en ressortir revivifié. Il est évidemment encore un peu tôt pour le mesurer sérieusement mais il apparaît dores-et-déjà que cette effervescence du Mondial est rentrée, à sa façon à la fois importante et dérisoire, dans l'Histoire, en ce sens que cette fête appartient désormais à la mémoire collective populaire. Nul doute, son souvenir en demeurera longtemps chéri. Alors qu'on la croyait morose et pisse-vinaigre, la France s'est fêtée « à la Brésilienne ». À leur façon, les événements vinrent, pour une fois, donner tort à Edgar Morin. Lors de la soutenance de doctorat de Juremir Machado da Silva, Edgar Morin, membre du jury, disait en effet que les Brésiliens et les Français différaient en ceci que pour les uns la fierté nationale se fêtait par le souvenir des batailles victorieuses, pour les autres par les victoires en Coupe du Monde. Il est vrai qu'alors la France n'avait encore jamais été championne du monde de football ! Si elle n'a pas eu besoin de prendre modèle sur les Brésiliens et sut se faire la fête, alors qu'elle se découvre métisse, elle pourrait regarder les cinq cents ans d'histoire du métissage brésilien, s'en inspirer pour le meilleur et s'en aviser pour les travers à éviter, c'est en tout cas ce que propose le musicien bahianais Carlinhos Brown, rencontré dans sa ville de Salvador : « le métissage français est un des plus prometteurs du monde. Il peut aussi analyser les cinq cents ans du Brésil comme une expérience valide. Parce que quand on commence à se métisser, on arrête de sentir la douleur, l'envie de l'autre. Tu commences à bien parler, à te rapprocher, tu tombes amoureux de l'autre d'une façon organique et naturelle. Le métissage fait tomber les répulsions et met un point final à la notion d'individu. C'est en cela qu'il est une forme de salut, parce qu'il fait disparaître l'individu. Le métissage est le chemin, c'est un des premiers degrés de la paix »(10). Arrêtons-nous un instant. Il convient d'abord de présenter le personnage, exercice peu commode tant il se multiplie en diverses activités. Avant tout, Carlinhos Brown est musicien, percussionniste, chanteur, guitariste et compositeur. Ses chansons sont reprises par de très nombreux artistes brésiliens, y compris les plus célèbres d'entre eux. Il est aussi le fondateur du groupe Timbalada. Mais cela n'est qu'un aspect. À vrai dire, pour mieux évoquer son envergure et son influence, Brown n'est rien moins que l' « ange-conducteur » du carnaval de Salvador de Bahia. C'est lui, défilant (parfois au pas de charge) à la tête de Timbalada ou des Apaxes do Tororo, qui réellement « met le feu » à la fête et il est assez rare de voir quelqu'un donner à ce point la pulsation d'une ville (d'autant que Salvador pulse déjà pas mal sans lui)... Mais ce n'est pas tout, issu du Candéal, une favela de Salvador, Brown a entrepris de profiter de sa notoriété pour contribuer à l'amélioration de l'habitat de son quartier. S'appuyant sur les fonds de quelques O.N.G., il y a aussi fait construire l'école de musique Pracatum (« une école de riches pour les pauvres »). Par ailleurs, Brown, qui n'est pas un homme de l'écrit, développe une réflexion très riche en constructions conceptuelles et théoriques, même s'il répète souvent que la pensée chez lui est « organique » et tient à une conception « naturelle » des choses... Face à quelqu'un comme Brown, on relativise vite son savoir académique, conscient d'avoir à faire avec quelqu'un qui essaie de mettre en pratique même les aspects les plus farfelus de ses idées... Si dans les représentations du Brésil figure fréquemment l'image d'un pays heureusement métissé, on nuance la carte postale en rappelant que souvent la couleur de la peau fait office de classe sociale... Ne cherchant pas à s'appesantir là-dessus, la vision du métissage développée par Brown va bien au delà... Ainsi Omelete man, titre de son deuxième album, désigne « un homme qui a plusieurs esprits. Il n'est pas seulement chrétien, il est aussi païen. Omelete-man, c'est le mélange des hommes. C'est un homme métissé avec un oeuf de dinosaure et qui est encore à naître. On parle de 3ème Millénaire, du Progrès, de la Paix : j'ai écrit omelete-man par hasard, sans m'attendre à ce qu'il y ait une guerre, en ce moment même, entre personnes qui parlaient déjà de purifier le sang (au Kosovo, ndla). Et c'est le métis qui parle. La chose qu'aucun dictateur et aucune conscience humaine ne pourront éviter, c'est la transformation des visages. Car c'est ça qui va identifier le métissage, cette nouvelle race »(11). Vu sous cet aspect optimiste, il s'agit de tourner la page : « quand on parle de l'histoire du Brésil, des Noirs et des Indiens, c'est toujours d'une façon très lourde. Aujourd'hui, on a besoin de se libérer de ce concept pour notre propre croissance. L'esclavage, c'est déjà du passé et pour éviter que cela se reproduise, il ne faut garder que la joie, la fascination de danser ensemble »(12). En fait, si l'effervescence dans ses moments d'enthousiasme collectif est une ouverture sur l'autre et, par là, devient une porte ouverte sur le métissage, il en est parfois du métissage comme de l'effervescence : ils ne sont guère prémédités, ils surviennent, sans plan, fugaces avant de rester indélébile petite trace et, surtout, ils échappent aux tentatives de récupération de tous poils... Et, admis leur caractère organique, bien que sociologues autorisons-nous (pour une fois) à rêver avec Carlinhos Brown d'une parade mondiale des tambours, d'un grand battement rythmique aux effets cosmiques : « si je commence ici, si tu commences là-bas, ça va générer la cellule du monde. Mon rêve est de faire une parade mondiale. Une minute de bruit. Le monde entier ne va pas faire une minute de silence mais une minute de bruit, à battre et chanter, crier. Le monde entier. Et la Terre va tourner différemment parce que les tambours interfèrent dans la rotation de la Terre. C'est la seule chose qui imite la nature. Les tambours imitent le tonnerre, la tempête. Et plus on jouera, plus la rotation de la Terre se fera suave. Comme si la musique était le lubrifiant de l'axe de la Terre »(13). Olivier Cathus
Notes :
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