David Lynch " Une histoire vraie "

L'homme qui prenait l'Amérique pour une tondeuse à gazon.

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David Lynch depuis toujours nous vend l'Amérique. Une Amérique certes décalée, mais l'on sait depuis longtemps que la force des Etats-Unis contrairement à d'autres pays est de disposer d'une large palette d'images possibles et donc d'alimenter de manière les plus diverses ses propres représentations sociales. L'Amérique nous donne sa morale et dans le même temps nous distribue l'image dun pays où s'expriment aussi bien une rébellion qu'une possible marginalité.

Dans une histoire vraie, David Lynch choisit de nous proposer la juxtaposition de ces deux Amériques. L'une sexprime par le biais du héros qui s'appelle non sans paradoxe, Alvin Straight " droit ", et l'autre est représentée par la figure même de la tondeuse à gazon que chevauche notre héros de l'Iowa au Wisconsin.

Lynch alterne le meilleur et le pire dans ce long métrage. Comme s'il ne savait pas manier l'émotion, lorsque l'histoire limpose, Lynch rate quasiment toute les scènes émotionnelles du film : les retrouvailles des deux frères après plus de dix années de dispute, ne nous émeuvent pas autant que cela devrait, même si le frère prend conscience de l'épreuve menée par son frère pour leur réconciliation. Il en va de même avec la scène des souvenirs de guerre : l'émotion ne passe pas. La chute de Straight et l'annonce de la crise cardiaque de son frère sont du même acabit. De plus, de manière intentionnelle et maladroite, voire grossière, glisse pour accentuer le caractère dramatique de cette scène, un éclair annonciateur de la future catastrophe. Passons ces quelques erreurs pour louer en revanche les réussites indéniables du film.

Tout d'abord Lynch a été peintre et cela se sent une nouvelle fois dans ce film qui regorge de tableaux splendides. Lynch filme magnifiquement la campagne américaine. Lynch a le coucher et le lever de soleil artistiques. Le silence des petites villes américaines traversées nous fait irrémédiablement penser aux tableaux d'Edward Hopper et notamment au fameux " nighthawk ".

Lynch possède aussi le don de manier la métaphore et la caractérisation des personnages. Comme dans tout road-movie qui se respecte, remplacer la voiture par une tondeuse à gazon, ne change rien à l'affaire, chaque personnage rencontré constitue un archétype semé sur la route de l'Ulysse de service pour nourrir sa quête. Mais ici les choses s'inversent, notre héros n'apprend rien de sa quête, au contraire, en vieux sage, il nourrit les autres de son savoir. Alvin Straight caractérise la sagesse d'une Amérique, vieillissante certes, mais éternelle. Réconciliatrice des générations entre elles. Il conseille à la jeune fille enceinte de retourner chez ses parents. Il apporte partout ou il passe, le bonheur et la chaleur. A l'image du feu qu'il allume le soir pour se chauffer et se nourrir, il fait bon le rejoindre le soir pour discuter avec lui. Il manie l'anecdote avec aisance et la sagesse de l'expérience avec justesse. Straight répond aux jeunes qui lui demande ce qu'il y a de pire dans la vieillesse : " les souvenirs de sa propre jeunesse ". Une histoire vraie est aussi un film sur la nostalgie, sur la jeunesse perdue mais qui est compensée par un savoir et par l'expérience. Lynch nous montre aussi la force de l'âme et la puissance de la volonté car le personnage part seul sur la route contre l'avis de tous ses proches qui le prennent pour un fou. Mais Lynch nous dévoile la force cachée de l'Amérique, capable de respecter la folie de certains lorsqu'elle s'accompagne de bons sentiments et qu'elle ne met pas la vie d'autrui en danger.

Lynch montre néanmoins la perdurance d'une certaine folie au-delà des générations et la course de vélos qui emprunte la route du héros n'en paraît que plus surréaliste. Au détour d'une scène, lorsque Straight troque sa petite tondeuse inefficace pour son voyage pour une autre plus grande et qu'il croise une machine géante et flambant neuve des usines John Deere, Lynch opte pour la voix des petits face aux géants qui vont abolir les rêves des "utopistes". De même, Lynch montre bien à quel point un monde est en train d'en chasser un autre et comment les petits - les héros du film sont de petits paysans américains assez pauvres - vont avoir du mal à survivre.

Lynch débusque la part de rêve qui sommeille en chacun de nous et qui se terre le plus souvent derrière nos passions et nos idées-fixes. Chez Lynch le rêve est toujours supérieur à la réalité et triomphe du mal ou de l'adversité. Accouplée à une volonté de fer, l'homme commue le rêve en réalité et déplace des montagnes. Le film de Lynch est un film optimiste qui se polairse sur l'idée du "bien ". Straight ne rencontre aucun être malveillant contrairement aux soupçons de la famille qui l'héberge. Pour Lynch le principal danger vient de nous-mêmes, de notre renoncement à notre idéal. Lynch aime la dualité et la duplicité de ses personnages comme seule l'Amérique peut en donner. Car Alvin Straight est l'être le plus têtu qui soit, que rien ne peut faire renoncer à son projet et surtout pas les moqueries ou les allégations de ses concitoyens. En revanche Straight est capable de prendre sur lui et de renoncer aux vieilles querelles du passé. Straight est l'archétype du bon bougre américain, solide, fidèle et dur au mal. Comme l'Amérique, Straight porte en lui une souffrance durable et une blessure profonde, celle de ses morts mais Straight survit et regarde devant lui, au bout de la route et du parcours qu'il sest fixé. Film sur le temps qui passe et sur l'héritage, une histoire vraie narre lhistoire de l'Amérique.

A l'image des machines agricoles John Deere qu'elle produit et qui en est la métaphore, l'Amérique souffre dans les descentes car elle prend trop de vitesse et peut laisser les plus pauvres à la traîne mais elle tient bon dans les montées et sur les longues distances. Lynch reprend les thèmes du western et les déplace à notre époque. Chez Lynch le décalage n'est que de façade car son portrait de l'Amérique tout comme la tondeuse à gazon de Straight ne peut se résigner à choisir le bas-côté. Lynch préfère l'empiétement à la radicalité et roule sur la ligne blanche. C'est pourquoi son film est si beau et nous touche tant car il joue sur notre propre besoin et envie de décalages, sur notre goût des marges. Lynch sait que l'on aime bien rouler sur le bas-côté et emprunter les chemins de traverse, mais aussi à quel point l'on ne peut se résoudre pour autant à choisir la marginalité. Donc Comme Alvin Straight nous roulons à la fois sur la route et sur les chemins de terre. Lynch aime les gens qu'il filme, ce qui devient rare de nos jours et sait dévoiler la force de la ruse et de la sagesse populaire, capable de résister à la tempête qui s'annonce. Lynch montre d'ailleurs dans une scène que lorsque l'orage surgit, nous savons nous protéger et nous mettre à l'abris pour mieux repartir de l'avant. Un conseil salutaire en ces temps agités.

Un film postmoderne puisqu'il ne peut s'empêcher de préférer l'ambivalence à la droiture. Lynch plaît aux européens parce qu'il sait renoncer partiellement au rêve unique américain dont parle Beck ailleurs dans ces mêmes colonnes. L'on ne peux qu'être ravi de la collaboration entre américains et européens si cela donne de telles merveilles et l'on se prend à rêver d'un pont définitivement jeté entre nos deux cultures alors que commencent les négociations de Seattle.

 

Bertrand RICARD.