ALBERT COSSERY, le Pape de la Dérision,

disponible dans la collection Arcanes



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Grâce à leur collection Arcanes, les éditions Joëlle Losfeld mettent les romans d'Albert Cossery à un prix abordable (environ 50 balles). L'occasion de rendre plus accessible ce grand écrivain égyptien (carrément un des plus grands auteurs francophones de ce siècle) et mesurer combien ces chroniques du petit peuple cairote touchent aussi à l'universel et à l'intemporel. Autrement dit, combien son regard demeure toujours aussi actuel et nous parle de ce qui nous entoure aujourd'hui. Et, toujours, Cossery nous parle de combattre.

À suivre, ici même, dans notre prochaine édition « Albert Cossery, la dérision rebelle »...

En attendant, régalez-vous déjà de ces quelques extraits...

 

La maison de la mort certaine de Albert Cossery
Ed. Joëlle Losfeld, collection Arcanes

Premier véritable roman de Cossery (Les hommes oubliés de dieu était un recueil de nouvelles), La maison de la mort certaine laisse apparaître en filigrane la dérision qui animera ses romans à venir et, en second plan, le personnage du « fumeur », pour l'instant encore marginal et rabroué par les autres. Ici, le ton est peut-être plus naturaliste (quoique le terme ne soit pas le plus adapté à l'univers de Cossery) et ces héros essaient avant tout, malgré leur misère, de sauver leur dignité et faire front à un vilain propriétaire. Cette histoire de mal-logés, dans une maison menaçant chaque jour de s'écrouler prend des airs d'actualité quand, aujourd'hui à Paris, des propriétaires sans vergogne louent leurs appartements une fortune à des familles démunies, le plus souvent étrangères...

« - Je voulais dire, ô Si Khalil, que ta maison c'est nous. Et que sans nous elle ne vaut absolument rien. (...) Écoute moi. Cette maison, que tu dis valoir plusieurs milliers de livres, à quoi te servirait-elle, dis-moi, si, tout à coup, nous l'abandonnions ? Elle ne pourrait même pas te servir de latrines. Tu me comprends, maintenant ? » (p.54)

« Les enfants aiment beaucoup Ahmed Safa. Il les charme par des récits fantastiques. Comme eux, il vit en enfant. Il n'a pas les soucis des adultes ; ces soucis, lourds et puants. Le hachâche n'a pas honte de sa misère. Il n'a pas cette dignité idiote qu'ont les autres, lorsqu'il s'agit de mendier. Car le plus terrible ce n'est pas d'être pauvre, c'est d'avoir honte de l'être. Heureusement les enfants ont une conscience pure, non encore pétrifiée par l'usage de la morale. Leur seule noblesse est dans la hardiesse de leur vie. » (p.101)

 

Mendiants et orgueilleux de Albert Cossery
Ed. Joëlle Losfeld, collection Arcanes

Peut-être son meilleur roman. Suite au meurtre d'une prostituée, un inspecteur de police en vient à tourner autour d'une bande suspecte de « mendiants et orgueilleux ». Parmi eux, Gohar, ancien professeur, qui a choisit par philosophie de devenir mendiant. Il essaiera de convaincre le policier qu'il a mieux à faire que de travailler... Encore une fois, nous retrouvons la drôlerie des dialogues, la dérision seule parfois nous préservant du désespoir...

« Maître, je ne comprends pas. Comment peux-tu rester insensible aux agissements des salauds qui abusent de ce peuple ? Comment peux-tu nier l'oppression ?
Gohar éleva la voix pour répondre.
- Je n'ai jamais nié l'existence des salauds, mon fils !
- Mais tu les acceptes. Tu ne fais rien pour les combattre.
- Mon silence n'est pas une acceptation. Je les combats plus efficacement que toi.
- De quelle manière ?
- Par la non-coopération, dit Gohar. Je refuse tout simplement de collaborer à cette immense duperie.
- Mais tout un peuple ne peut se permettre cette attitude négative. Ils sont obligés de travailler pour vivre. Comment peuvent-ils ne pas collaborer ?
- Qu'ils deviennent tous mendiants. Ne suis-je pas moi-même un mendiant ? Quand nous aurons un pays où le peuple sera uniquement composé de mendiants, tu verras alors ce que deviendra cette superbe domination. Elle tombera en poussière. Crois-moi. »

 

Les fainéants dans la vallée fertile de Albert Cossery
Ed. Joëlle Losfeld, collection Arcanes

Sous forme de conte, Cossery pousse là très loin son bouchon. Ses héros n'ont certes jamais été gros travailleurs, ici ils deviennent carrément des dormeurs, au sens propre. Comme dans les contes, on trouve, dans cette famille endormie, trois frères, chacun représentant un stade de développement particulier de cette tendance à dormir... Comme dans les contes, mais dans le monde à l'envers de Cossery, c'est le plus jeune frère qui manifeste quelques vélléité de changement : il rêve de travailler après avoir vu une usine en construction. Le travail ? Un blasphème dans la famille. L'aîné ? Il ne se pose même plus la moindre question, il dort. Le second a fait des études, il a pesé le pour et le contre et finalement choisit : il dort.

« Pourquoi es-tu réveillé ? Est-ce que tu es devenu fou ? »

« - Il paraît qu'il dort tout un mois sans se réveiller, continua Abou Zeid. Est-ce vrai, mon fils ?
Un sourire d'admiration effleura sa bouche édentée, comme une blessure.
- Ce sont d'affreux racontars, dit Serag. Comment peux-tu, ô homme ! croire de pareilles sottises ? C'est vrai que mon frère Galal dort beaucoup. Il dort parfois une journée entière. Mais quant à dormir pendant out un mois, aucun être au monde ne pourrait le faire. Crois-moi, ce sont simplement des racontars.
- Les gens sont si méchants, dit Abou Zeid avec une certaine déception. Ils disent tant de choses ! »
« - Et je n'ai pas besoin de vous dire de ne pas faire de bruit. Allez donc dormir. Qu'est-ce que vous faîtes là à être réveillés ? Sur mon honneur, vous êtes tous des vicieux. Salut ! »

 

Un Complot de saltimbanques de Albert Cossery
Ed. Joëlle Losfeld, collection Arcanes

Ce réjouissant « complot de saltimbanques » est un petit résumé de la philosophie de l'auteur... Le thème du complot dérisoire est récurrent dans son oeuvre mais vient aussi se greffer un autre thème, savoir apprécier l'instant, savoir goûter ce que l'on a sans chercher midi à quatorze heures, faire avec les moyens du bord pour se satisfaire...

« Il n'est pas donné à tous les hommes d'apprécier ce qui les entoure. La plupart s'imaginent qu'ils trouveront ailleurs ce qu'ils cherchent et qui pourtant s'étale sous leurs yeux. »

« Le pittoresque l'ennuyait. Il avait un mépris inné pour toute cette humanité remuante et férue de voyages qui semblait courir derrière le bonheur mais, en fait, n'arrivait qu'à tourner en rond, inapte à saisir autre chose qu'une vérole de plus ou de moins. Ce mépris découlait d'un instinct profond et non d'une attitude visant à la critique sociale ; il y avait longtemps que la réforme de ses contemporains avait cesser de l'intéresser. Il avait mieux à faire. Le combat qu'il menait était son combat personnel, journellement renouvelé, et ne tendait qu'à détourner à son profit une parcelle de cette joie égarée parmi les hommes, souvent imprévisible et méconnaissable. Avec cette éthique simple, essentiellement réaliste, il parvenait à être parfaitement heureux et, de plus, n'importe où ; il n'y avait pas pour lui d'endroits spécialisés dans le bonheur. »