La littérature de l'incommunication

Par Juremir Machado da Silva



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Michel Houellebecq, Les Particules élémentaires, Paris, Flammarion, 1998

Au temps de l'apogée de la théorie littéraire, la communication
était pour l'art l'ennemi à abattre, puisqu'elle était synonyme de fonction référentielle et dénotative, c'est-à-dire utilitaire, tandis que la création impliquait la mort du sens. Michel Houellebecq, dont le deuxième roman, Les Particules élémentaires, a généré une forte polémique médiatique à la fin de l'été 1998, est un héritier rebelle de cette époque révolue, celle de Sollers et compagnie. Avec Houellebecq il y a un glissement de point de vue: on ne cherche plus l'incommunicabilité, mais à parler de
l'impossibilité de la communication en cette fin de siècle.

Contre vents et marées, Houellebecq a décidé de sauver le roman français de l'agonie avec des fortes doses de pensée sociologique. Voilà qu'il a relancé l'éternelle discussion sur les frontières entre les genres: roman ou essai? Littérature de fiction ou critique sociale déguisée? Invention solitaire ou combat d'idées sous la forme de récit, ce qui permet toutes les imprécisions de "l'illusion référentielle" sans avoir à rougir?
On se sait pas. À vrai dire, on s'en moque. Il s'agit d'une querelle académique et ennuyeuse, dans la lignée de la classification basée sur le contrôle social de la production culturelle.

L'important c'est que Houellebecq ressuscite les personnages
intelligents en littérature et donne à nouveau aux intellectuels une place d'honneur dans l'imaginaire de l'exotisme quotidien. En d'autres mots, les classes moyennes sont bel et bien des sujets littéraires, avec tout ce qui cela implique y compris l'examen satirique et impitoyable des vérités
intellectuelles d'un été. Les Particules élémentaires ridiculisent les mythologies sexuelles de 68. Et par là même tout un imaginaire ancré dans le rêve de la transparence communicationelle et de la libération totale. À chaque utopie, une déception, mais, en revanche, beaucoup d'effervescence.
Il est vrai que derrière l'humour de l'auteur se cache un certain moralisme ou peut-être une certaine manie bien française de râler contre tout et contre tous. En compensation, il y a des analyses capables de faire pâlir les sociologies quantitatives toujours en quête de scientificité.

On pourrait dire sans vaciller que les personnages de Michel
Houellebecq règlent les comptes du romancier avec un passé de promesses de construction d'un avenir radieux par le biais de l'érudition et de la science. Sans se soucier de certaines lois du roman (intrigue, caractérisation et psychologie des personnages, etc.), l'écrivain met en scène des idées (et tant pis si elles dérangent ou si elles ne sont pas pertinentes, puisqu'elles appartiennent à la fiction): un rouleau
compresseur qui n'épargne rien ni personne. On ne sait pas si Houellebecq fera partie un jour du canon littéraire universel, mais en tout cas il a déjà bien contribué à remettre de la verve dans la littérature
contemporaine. Celle-ci était dernièrement condamnée à voir marcher des fantômes, des êtres sans âme, sans odeur, sans vie. Rien que des mots.

Et voilà qu'on peut encore utiliser des mots pour réfléchir sur le
mal de parole dans un monde traversée par l'hystérie communicationelle. La communication peut en souffrir de son excès. Le silence parfois peut être le résultat d'une entropie de bruits. Et s'il était possible de faire de l'art tout en communicant? Peut-être que cela ne plairait pas à certains
disciples de Mallarmé, encore que celui-ci était au dessus des lectures qu'on fait parfois de sa poésie. Houellebecq n'en sait rien. Il veut juste ajouter quelques bribes à la Babel actuelle. Et c'est déjà beaucoup.