EXTENSION DU DOMAINE DE LA (TUR)LUTTE

Olivier Cathus



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Avec le Traité du boudin (À l'usage des prolétaires du sexe) portant bandeau " INTERDIT aux gens beaux ", nous tenons l'alternative au désenchantement sexuel de Houellebecq pour qui "la sexualité est un système de hiérarchie sociale", comme il l'écrit dans son Extension du domaine de la lutte. "Dans nos sociétés, le sexe représente un second système de différenciation tout à fait indépendant de l'argent (…), le libéralisme sexuel, c’est l’extension du domaine de la lutte, son extension à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société"(p.100). En gros : dur, dur d’être un boudin. Justement, cette assertion est-elle du lard ou du cochon ? Doit-on y croire comme on pourrait croire à un clinique constat sociologique ? Doit-on distinguer le point de vue du narrateur de celui de l’auteur ? C’est là toute l’ambiguïté entretenue par Houellebecq. Lui-même semble y croire… Il désigne même la source de nos maux actuels. Ils nous proviendraient en droite ligne des années soixante où la libération des mœurs débouche sur cette tragédie contemporaine, cette extension du domaine de la lutte et toutes les misères qui lui sont liées.

Quoi qu’il en soit, le narrateur de son premier roman vit dans la plus grande misère sexuelle car, dit-il, "dépourvu de beauté comme de charme personnel, sujet à de fréquents accès dépressifs, je ne corresponds nullement à ce que les femmes recherchent en priorité. Aussi ai-je toujours senti, chez les femmes qui m'ouvraient leurs organes, comme une légère réticence ; au fond je ne représentais guère, pour elles, qu'un pis-aller"(p.15). Somme toute, ce narrateur ressemble pas mal à celui du Traité du Boudin qui dit avoir "une gueule à la con".

Sûr, c’est pas marrant d’être un pis-aller. Mais il y a un remède pour les pis-aller et " les même-jamais-aller " comme le révèle la lecture de ce Traité du boudin. Le narrateur de Houellebecq ferait bien d’en prendre de la graine car "ce fascicule s'adresse aux prolétaires du sexe. À la masse innombrable des sans-grade, des pauvres cons, des mal-faits, des ratés, des pas beaux, des que moches. Aux "finis à l'urine", aux "bercés trop près du mur", aux "résidus de capote". À tous les hommes qu'on ne remarque pas. À ceux qu'on ne remarque que trop. À tous ceux qu'on oublie aussitôt. À tous ceux qu'on dédaigne. À tous ceux à qui la nature n'a fait aucun cadeau".

Dans le Traité du Boudin, tout comme dans l’Extension…, le narrateur compte son expérience. Le constat de départ est sensiblement le même : "longtemps, j’ai moi-même souffert de ma condition de moche. Je naviguais d’échec en échec, traînant mes parties génitales au bord de l’explosion dans des sphères qui n’étaient d’aucune façon prêtes à les soulager".
Mais pourtant un jour ce fut comme une révélation. Une soirée un peu trop arrosée lui fit connaître Gertrude. Expérience décisive. Gertrude, un vrai boudin dans toute sa splendeur… "Gertrude aurait pu sans conteste prétendre à un poste de mannequin chez Olida. De type sanguin, la peau blanche veinée de bleu, grasse comme une truie, elle était en sus charpentée comme un bûcheron. Ses traits étaient sans délicatesse aucune, mais ses petits yeux bleus de cochonne étaient allumés d’une lueur de stupre". Et elle savait y faire !
Du coup, après une adolescence difficile, une vie sexuelle quasi-réduite à la masturbation, la narrateur et son pote voient s’ouvrir de nouvelles perspectives… "Lucien et moi avions découvert le filon. Pendant des années nous nous étions échinés à tenter de séduire de jolies filles qui ne nous avaient rendu que mépris et froideur, alors que là, juste sous notre nez, dormait un véritable trésor. Des centaines et des centaines, des milliers et des milliers de femmes, dépréciées, conspuées, méprisées nous attendaient, seins généreux de n'avoir personne à qui se donner, cons entrouverts comme autant de portes entrebaîllées. L'immense mer mamelue de celles que péjorativement on nomme les boudins nous tendait ses bras dodus".

Ils avaient découvert un nouveau continent inexploré qu’une vie entière et bien pleine ne suffirait pas à parcourir. Ils l’on découvert pour avoir compris une chose : "la beauté n'est qu'un leurre, une valeur toute relative, qui varie selon l'époque, le lieu, le contexte. Mais elle reste à travers les âges, un instrument de la distinction sociale, c'est-à-dire l'instrument de domination d'un petit groupe sur la grande masse des individus. Réglons donc une bonne fois pour toutes son compte à la beauté : soyons tous des boudins, si cela n'est pas déjà fait. Car comme chacun sait : on est toujours le boudin de quelqu'un d'autre".
C’est là que se situe la différence avec Houellebecq. Il semblerait que la sexualité chez Houellebecq est beaucoup du mal à s’affranchir de certaines apparences, comme s’il existait un lien entre beauté et sexualité.
Dans l’Extension… aussi, le narrateur côtoie un boudin : "elle n’est vraiment pas très jolie. En plus des dents gâtées elle a des cheveux ternes, des petits yeux qui brillent de rage. Pas de seins ni de fesses perceptibles. Dieu n’a vraiment pas été gentil avec elle"(Ext. Dom…., p.28). Il remarque bien sa solitude et ses "besoins" mais, dit-il, "je n’éprouvais aucun désir pour Catherine Lechardoy ; je n’avais nullement envie de la troncher. Elle me regardait en souriant, elle buvait du Crémant, elle s’efforçait d’être courageuse ; pourtant, je le savais, elle avait tellement besoin d’être tronchée. Ce trou qu’elle avait au bas du ventre devait lui apparaître tellement inutile. Une bite, on peut toujours la sectionner ; mais comment oublier la vacuité d’un vagin ?" (Ext. Dom…., pp.45-46).
On imagine que le sort de cette malheureuse eut été bien changé si les narrateurs avaient été intervertis ! Ce Traité du Boudin propose en tout cas une alternative radicale : le Sagouinisme dont vous trouverez ci-joint le Manifeste. Il s’agit de rien moins que détruire les notions romantico-chrétiennes de l’amour et de " lâcher le chien ". Beau programme… Le mérite de ce Traité est aussi de jeter un éclairage inédit sur l’œuvre de Houellebecq.
 
Olivier Cathus
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Paru chez Ensemble Vide Editions, cet opuscule tiré à 300 et quelques exemplaires est simplement signé Stéphane T. Comme si l’on ne devait se le refiler que sous le manteau. Qui est-il ? Peu importe. Est-ce édité à compte d’auteurs ? Peu importe. Simplement il est très regrettable que l’auteur ait voulu faire son petit malin en rajoutant un autre texte après le Traité du Boudin, le pathétique et minable "Gang-Bang". L’histoire d’un acteur de porno sur le retour. Que la nouvelle ne soit franchement pas terrible n’est pas le problème. Ce qui est regrettable est que Le Traité du Boudin perd avec ce second texte toute sa force et son ambiguïté. Au lieu de tenir un témoignage (vécu ou pas, on s’en fout) et un véritable Manifeste (dépliant qui plus est, une simple photocopie patinée d’authenticité), on se retrouve avec un vulgaire pétard mouillé, une petit bombe (auto)désamorcée par de potaches petits jeux de mots, style je m’amuse en classe à inventer des titres de porno pendant que le prof parle de trucs qui m’intéresse pas. Dommage car ce Traité du Boudin est bien troussé et autrement plus réjouissant dans son propos que certaines pages sordides de Houellebecq.