On avait déjà pu
apprécier les enregistrements en studio de la
chanteuse. Y constater qu'elle n'aime pas les
barrières et se montre aussi à l'aise dans le
classicisme jazz que dans les incursions vers la musique
brésilienne. Y découvrir sa sensibilité
d'auteur avec, par exemple, "Nine", une touchante chanson
sur l'enfance à neuf ans, l'insouciance de cet
âge étant évoqué en jouant d'un
clin d'oeil avec le "Aguas de março" de Tom Jobim :
à cet âge-là, sûr qu'on aime jouer
sous la pluie. Tableau d'une enfance où se sent
encore la présence bienveillante du voisinage, d'une
communauté solidaire pas encore
dévastée par le crack et où les enfants
sont à tout le monde.
Une pléiade d'invités
prestigieux était venu participer à la mise en
place d'un écrin digne d'un tel joyau de voix.
Preuves étaient données que Dianne Reeves
figurait en bonne place parmi les grandes chanteuses de jazz
de l'histoire, dans la catégorie des Sarah Vaughan ou
Abbey Lincoln.
Mais que vous aimiez ou non le jazz,
Dianne Reeves saura vous capturer, image désolante de
facilité. Il n'empêche que son album "live" au
New Morning (Blue Note) est à vous clouer sur place
ou vous faire lever et danser, c'est selon.
En concert, elle dévoile une autre
facette de son talent. On l'y retrouve toute pêche
dehors, chaleureuse et communicative. Pour ce "live" au New
Morning, enregistré en mai dernier,
accompagnée de son simple trio, elle se lâche
et tourbillonne, sans aucun moyen de tricher.
Rencontre avec une grande dame
du jazz :
O. Cathus : Vous semblez
incarner la conception d'un jazz totalement ouvert, loin des
carcans...
Dianne Reeves : "C'est à l'image
de la musique que j'ai toujours écouté. J'ai
grandi à l'époque du "Bitches Brew" de Miles
Davis et j'ai toujours eu l'oreille tendue vers la musique
de mon temps, aussi bien le R'nB que le jazz.
O.C. : On sent également dans
votre musique des échos africains ou une
énergie proche du funk.
D. R. : Tout à fait. A travers la
musique, c'est aussi une dimension spirituelle qui
m'intéresse, une dimension spirituelle qui ne passe
par aucune religion particulière. Je n'appartiens
à aucune église, mais j'essaie de renouer un
lien qui a été brisé pendant plusieurs
siècles avec l'Afrique. Pour ce qui est de ces
influences africaines, la musique peut être le reflet
d'une époque et du lieu où elle naît
mais l'émotion spirituelle qu'elle provoque en fait
véritablement un message universel. C'est ce que je
cherche à communiquer quand je suis sur
scène.
O.C. : Quel type de réaction
attendez-vous de la part de votre public?
D. R. : Je n'attends rien en particulier
du moment qu'il apprécie. Vous savez, aux Etats-Unis
les choses sont très cloisonnées, avec deux
hit-parades, celui des Blancs et celui des Noirs, on vous
étiquette vite : soit vous faites du R'nB (Rhythm and
Blues, terme générique désignant les
musiques populaires noires, ndla), soit du gospel, soit du
jazz. Alors il m'arrive de jouer devant un public assez
jeune qui n'a jamais entendu de jazz, je commence donc par
leur planter deux morceaux bien "funky" auxquels ils
puissent s'accrocher et après, j'enchaîne avec
ce que je veux. A l'inverse, devant un public plus
"traditionnel", je leur fais les classiques : un coup de
"Body and Soul" et ils sont whaouh, et après
là aussi je les emmène où je veux. Sur
scène, je fais toujours ce dont j'ai envie.
Même mes musiciens savent que je ne respecterai pas
l'ordre des morceaux que je leur ai indiqué".
Si Dianne Reeves est jazz, comme son
goût pour l'improvisation en atteste, c'est pour en
triturer la grammaire jusqu'à y trouver les
échos d'une Afrique mythifiée. Riche de ce
bagage plus grand que le jazz et belle comme une
déesse yoruba, avec une chaleur et une
générosité rares, elle se fait fort
d'enthousiasmer n'importe quel public.
Olivier Cathus
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