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Dianne Reeves :

l'âme-lionne arrive...

(entretien)

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En ce dimanche soir de décembre, Dianne Reeves boucle la boucle par un retour sur la scène du New Morning où elle avait enregistré en mai un des vrais beaux disques de l'année. Pour ce retour, ardente et joueuse, elle confirme être à la hauteur de sa réputation.

 

 

On avait déjà pu apprécier les enregistrements en studio de la chanteuse. Y constater qu'elle n'aime pas les barrières et se montre aussi à l'aise dans le classicisme jazz que dans les incursions vers la musique brésilienne. Y découvrir sa sensibilité d'auteur avec, par exemple, "Nine", une touchante chanson sur l'enfance à neuf ans, l'insouciance de cet âge étant évoqué en jouant d'un clin d'oeil avec le "Aguas de março" de Tom Jobim : à cet âge-là, sûr qu'on aime jouer sous la pluie. Tableau d'une enfance où se sent encore la présence bienveillante du voisinage, d'une communauté solidaire pas encore dévastée par le crack et où les enfants sont à tout le monde.

Une pléiade d'invités prestigieux était venu participer à la mise en place d'un écrin digne d'un tel joyau de voix. Preuves étaient données que Dianne Reeves figurait en bonne place parmi les grandes chanteuses de jazz de l'histoire, dans la catégorie des Sarah Vaughan ou Abbey Lincoln.

Mais que vous aimiez ou non le jazz, Dianne Reeves saura vous capturer, image désolante de facilité. Il n'empêche que son album "live" au New Morning (Blue Note) est à vous clouer sur place ou vous faire lever et danser, c'est selon.

En concert, elle dévoile une autre facette de son talent. On l'y retrouve toute pêche dehors, chaleureuse et communicative. Pour ce "live" au New Morning, enregistré en mai dernier, accompagnée de son simple trio, elle se lâche et tourbillonne, sans aucun moyen de tricher.

 

Rencontre avec une grande dame du jazz :

O. Cathus : Vous semblez incarner la conception d'un jazz totalement ouvert, loin des carcans...

Dianne Reeves : "C'est à l'image de la musique que j'ai toujours écouté. J'ai grandi à l'époque du "Bitches Brew" de Miles Davis et j'ai toujours eu l'oreille tendue vers la musique de mon temps, aussi bien le R'nB que le jazz.

O.C. : On sent également dans votre musique des échos africains ou une énergie proche du funk.

D. R. : Tout à fait. A travers la musique, c'est aussi une dimension spirituelle qui m'intéresse, une dimension spirituelle qui ne passe par aucune religion particulière. Je n'appartiens à aucune église, mais j'essaie de renouer un lien qui a été brisé pendant plusieurs siècles avec l'Afrique. Pour ce qui est de ces influences africaines, la musique peut être le reflet d'une époque et du lieu où elle naît mais l'émotion spirituelle qu'elle provoque en fait véritablement un message universel. C'est ce que je cherche à communiquer quand je suis sur scène.

O.C. : Quel type de réaction attendez-vous de la part de votre public?

D. R. : Je n'attends rien en particulier du moment qu'il apprécie. Vous savez, aux Etats-Unis les choses sont très cloisonnées, avec deux hit-parades, celui des Blancs et celui des Noirs, on vous étiquette vite : soit vous faites du R'nB (Rhythm and Blues, terme générique désignant les musiques populaires noires, ndla), soit du gospel, soit du jazz. Alors il m'arrive de jouer devant un public assez jeune qui n'a jamais entendu de jazz, je commence donc par leur planter deux morceaux bien "funky" auxquels ils puissent s'accrocher et après, j'enchaîne avec ce que je veux. A l'inverse, devant un public plus "traditionnel", je leur fais les classiques : un coup de "Body and Soul" et ils sont whaouh, et après là aussi je les emmène où je veux. Sur scène, je fais toujours ce dont j'ai envie. Même mes musiciens savent que je ne respecterai pas l'ordre des morceaux que je leur ai indiqué".

Si Dianne Reeves est jazz, comme son goût pour l'improvisation en atteste, c'est pour en triturer la grammaire jusqu'à y trouver les échos d'une Afrique mythifiée. Riche de ce bagage plus grand que le jazz et belle comme une déesse yoruba, avec une chaleur et une générosité rares, elle se fait fort d'enthousiasmer n'importe quel public.

Olivier Cathus