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L'étiquette « musiques du monde » (dont on notera le pluriel) prête à polémiques quand celle de «world music» (dont on notera le singulier) est carrément honnie des puristes. Qu'importe le terme, l'enjeu est souvent le même, « séparer le bon grain de

l'ivraie » dans une quête de l'authentique et une traque de l'impur. Si la question est effectivement grave d'un point de vue ethnomusicologique par exemple, elle n'en devient pas moins relative dans d'autres contextes. Ne comparons que ce qui est comparable et laissons de côté les relents douteux corollaires à l'idée même de culture « pure », ce n'est pas de ça dont il s'agit. C'est soit le vieux complexe et paradoxe de l'ethnologue s'ouvrant aux autres cultures et craignant presque de voir ceux vers qui il se penche s'intéresser à lui en retour : l'ethnologue a peur de contaminer ; soit la recherche d'une réelle et sincère créativité. Car, n'oublions pas finalement que chaque musique est la « world » de quelqu'un : la « pop » brésilienne ici, notre Piaf ailleurs... Réjouissons-nous plutôt de la variété des démarches : témoignages, métissages, créations, pompes-à-fric racoleuses (cherchez l'intrus).

Du côté des témoignages, relevons la qualité de la Collection UNESCO fondée par Alain Daniélou en 1961 et éditée par Auvidis/Naïve. La démarche est la sauvegarde d'un patrimoine culturel de par le monde et la collection présente donc, en 110 références, des enregistrements de musiques traditionnelles, populaires ou savantes. Auvidis vient de ressortir 25 de ces références (dont la moitié africaines) sous une nouvelle présentation, à un prix dit « attractif ».

Autre genre de panorama avec la compilation Jazz 'n' World (vol.1). Certes, si le jazz est déjà musique métisse, rendons d'abord hommage en son centenaire à Duke Ellington, grand explorateur musical de l'Orient ou du Brésil et qui, de sa belle voix, citait Mc Luhan en introduction de son « Afro-Eurasian Eclipse » : « the whole world is going oriental »... Comme on le constate ici avec d'autres génies ou fondateurs, Miles Davis, Herbie Hancock ou Shakti, ou de jeunes et brillants défricheurs comme Léon Parker qui interprète l'ellingtonien « In a sentimental mood » sur un rythme de capoiera. Malgré tout, plutôt que l'aspect fatras d'un tel objet, on reprochera le prétexte commercial qui se borne à ne présenter que des artistes du catalogue Columbia.

Autre cas, Richard Bona est-il «world» ou jazz ? Annoncé façon « du Bo, du Bon, du Bona », «Scenes from my life» (Columbia), le premier album très raffiné et dépouillé de ce bassiste camerounais, illustre tout simplement son parcours du village jusqu'à New-York, via Paris. Bona, qui se mit à la basse en entendant Jaco Pastorius, était jusqu'alors connu comme bassiste virtuose. Or ici, c'est surtout le chanteur et le compositeur que l'on découvre.

Il nous épargne donc tout étalage technique qui, pour virtuose qu'il soit, aurait risqué de plomber l'ensemble. Tout en s'autorisant quelques étapes salsa et funk, Bona privilégie les ballades chantées en douala et conserve quelques ingrédients de base de ses origines camerounaises (percus et choeurs), pour un disque étonnant de légèreté et particulièrement infectieux. Sans aucune esbrouffe, le charme opère doucement et chaque nouvelle écoute enfonce le clou : ce disque est vraiment contagieux. Véritable révélation, son album ne se contente pas d'être un des plus belles réussites de cette rentrée, avec lui Bona va plus loin : il ouvre un pan de la nouvelle « pop » cosmopolite, là où les étiquettes n'ont plus cours.

 

Haut de gamme : d'une qualité rare, les productions du label World Circuit, partagées entre Cuba et le Mali, donnent ses lettres de noblesse à la « world ». Chaque album est réalisé avec soin (jusqu'à l'objet cd lui-même avec ses magnifiques livret et photos). Si Nick Gold, le producteur, aime bien amener des musiciens d'origines différentes à se rencontrer, c'est toujours avec le respect de l'artiste enregistré. Ry Cooder, par exemple, qu'il joue le « blues » malien ou le son cubain, toujours se fait discret et se coule dans le moule, jamais ramenard.

Les dernières parutions, Ali Farka Touré, « Niafunké », et Afel Bocoum, « Alkibar », son protégé, furent enregistrées dans un vieux bâtiment tout en voutes du village sans électricité d'Ali Farka Touré. Encore une fois, Ali Farka Touré et sa guitare électrique nous montrent, par quelques fortes similitudes, les probables racines du blues. « The river », titre d'un précédent album, évoquait d'ailleurs le cours porteur du blues, avec le Niger en guise de Mississipi.

 

Enfin, que sont nos keupons et alternatifs devenus ? Après le phénomène du «Clandestino» de Manu Chao, voici P18, « Urban Cuban »(Virgin) et Sergent Garcia, « Un poquito quema'o »(Labels). Tous fans de l'EZLN du Sous-Commandant Marcos et du Che. Pour preuve, tous leur adressent de belles dédicaces sur leurs albums. Côté musique, on retrouve la même orientation latino.

Ainsi Bruno Garcia, ex-Ludwig von 88, se lance d'entraînante façon dans la « salsa-muffin » sous le pseudo de Sergent Garcia (dont il prétend être le descendant). Bonne ambiance, idéal même pour faire la fête. Son groupe mixte franco-latino n'y va pas par quatre chemins : il faut faire danser. Et donc si leur musique, salsamuffin donc, doit être jugée c'est principa-lement sur ce critère. En terme d'efficacité. Et force est de constater, tests estivaux à l'appui, que c'est

effectivement très efficace pour faire bouger une fête. Verdict, Sergent Garcia sort le gros calibre qui ne fait pas dans la dentelle.

 

Tout aussi festif mais plus aventureux, P18 (pour Paris XVIIIème, leur point d'ancrage), le groupe franco-cubain de Tom Darnal (ex-clavier de la Mano Negra) explore le mixage des beats électroniques et de la musique cubaine. On saisira ainsi un bout de discours du « Che » (« Somos el futuro »), accompagné

de quelques violons avant que le rythme doucement ne vienne se poser, hypnotique, des choeurs féminins et des congas roots par ci, un tempo reggae et ses basses bien lourdes par là. À l'arrivée, si P18 ouvre plusieurs pistes de belle façon en ne se cantonnant pas à un seul style, à l'arrivée, le résultat global laisse une impression légèrement mitigée. Si certains morceaux sont vraiment très réussis, on peut toutefois regretter le côté trop "carré" de certains beats posés là. Ce n'est d'ailleurs pas le propre de P18 mais de ce type de

tentative. En effet, eu égard à la richesse et à la souplesse des rythmes cubains, le traitement donne souvent l'impression de formater lourdement les choses, un peu comme si l'on essayait de cueillir une fleur avec un rouleau-compresseur. Cette réserve exceptée, P 18 parvient tout de même à combiner l'esprit alternatif au son d'aujourd'hui. Ce qui n'est pas rien.

Précision : ces deux-là, c'est au rayon « rock français » qu'on les trouve ! Comme quoi, cqfd, les étiquettes...

 

 

Olivier Cathus