NÉGRESSES VERTES :

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« Trabendo » (Virgin), le nouvel album des Négresses Vertes nous surprend, ce qui n'est déjà pas rien de la part d'un groupe que l'on craignait « has-been ». Quoique, à la première écoute, on se demande presque s'il ne s'agit pas surtout d'un album de

Howie B., l 'homme qui a réalisé l'objet sonore que voici et qui n'est pas le premier venu (collaborateur de, notamment, Björk ou U2). Sur « Trabendo », la musique des Négresses s'est vue dépouillée de plusieurs couches de ses habituelles frusques, à l'image des membres du groupe qui ont troqué leurs vieux costards contre de plus discrets treillis de camouflage. La musique donc s'est aérée et s'est structurée sur une colonne de breakbeats. Ce n'est peut-être pas là qu'on les attendait et on peut donc être surpris. Pourtant l'introduction des breakbeats dans leurs chansons ne date pas d'hier. Depuis « Zobi la mouche », leur sauce acoustico-festive n'a pas cessé de rencontrer des remixes. En 1993, la crème des remixeurs (Massive Attack, William Orbit, Howie B. déjà, Norman Cook alias FatboySlim, etc.) s'était même collée à leurs chansons pour l'album « 10 Remixes ».

Aujourd'hui, l'exercice est différent. Il ne s'agit pas d'une relecture a posteriori et breakbeats à l'appui. Non, c'est la matière même qui a changé. Fini le joyeux foutoir d'instruments et de choeurs braillards entremêlés. On a drôlement balayé dans les coins. Howie B. a défriché, taillé dans le tas. Guitare, accordéon et trompette et ce qui reste des Négresses, se relaient, chacun son tour si possible plutôt qu'ensemble. Chacun son tour et pas trop fort si possible. C'est nickel chez les Négresses Vertes. Y'a plus rien qui traîne. Et forcément, on écoute ce qui reste en se demandant si c'est là leur substantifique moëlle.

Cependant, pour être honnête, considérer ce qu'il reste des Négresses Vertes ici n'a que partiellement à voir avec le traitement à base de breakbeats et de soignés effets sonores concocté par Howie B. En effet, on pouvait attendre d'eux le pire de chez pire, eu égard aux divers traumatismes qu'a traversé le groupe. Le premier de ces traumatismes est bien entendu la mort d'Helno. À sa disparition, certains ont préféré retourner à un esprit plus alternatif en montant la fanfare funk associative Tarace Boulba. Restaient Mellino, et Iza Mellino, Mathias, Paulus et Ochowiak. Cet équipage décimé partait mal avec un « Zig-zague » parti dans le zig mais atterri dans le zag, sans faire de vagues, presque dans l'indifférence. Persévérer demandait donc une remise en question mais aussi un sacré effort de digestion. Pas question d'avancer sans avoir digéré ce qui était désormais de l'histoire ancienne : avoir donné le la d'une époque, avoir été la « french touch » de son temps, ambassadeurs à la hauteur mais bien malgré eux sorte de chose publique sur laquelle tout le monde a son mot à dire (un peu comme le fait d'avoir un sélectionneur dissimulé derrière chaque Français s'exprimant sur l'équipe de France)... Un gros pavé dans le bide des Négresses Vertes à digérer avant de pouvoir poser le prochain jalon, tout en sachant aussi qu'il risquait d'être posé dans un certaine indifférence.

Dans leur nouvelle configuration, où tous les morceaux sont signés par tous et y compris par Howie B., les Négresses Vertes ont donc choisi la voie audacieuse du grand remue-ménage. Pari audacieux, courage artistique... De toutes façons, le courage artistique n'est souvent rien d'autre qu'une pécadille qui se veut lanterne, alors... Et puis, avaient-ils vraiment le choix ? N'étaient-ils pas condamnés à ce coup de poker ? L'essentiel et le plus difficile était peut-être de sauver l'esprit. Cette substantifique moëlle a-t-elle résisté aux épreuves et au traitement électronique ? Au début, on a un doute. Mais chaque nouvelle écoute lève son voile jusqu'à découvrir justement cette moëlle, chaque nouvelle écoute épluche sa couche à la façon dont le mix épure la musique. Et bien vite, on retrouve ici la touche Mellino (comme sur la magnifique ballade « Hasta llegar »), là ce bon vieil accent parigot. « Easy girls », le single, devient rapidement insidieux, avec son groove ralenti et titilleur, « Ce pays » s'étire longuement, serpentant entre une ambiance à la « The end » et un thème à la « Voilà qu'ça recommence » (Rachid Taha) et rappelle que, depuis toujours, la moëlle du groupe est à chercher du côté du métissage... Et ce « Trabendo », teinté parfois de gravité, est une nouvelle orientation somme toute cohérente de leur carrière.

Que l'on aime ou pas, ce défrichage radical a au moins le mérite d'offrir un nouvel ancrage dans son époque à un groupe égaré, des beats d'amarrage en quelque sorte...

 

Olivier Cathus