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VOIES DES VOIX

(Sally Nyolo, Zap Mama, Faytinga)

Olivier Cathus


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Du pays Béti à l’Érythrée en passant par Bruxelles, suivons quelques dames en voix traçant les voies de l’âme, ce qui demeure l’essentiel en musique.


D’un côté, Sally Nyolo, de l’autre Marie Daulne. Toutes deux furent de l’aventure Zap Mama, formation montée par la seconde. Pour l’anecdote, elles ont aussi en commun d’avoir enregistré (mais séparément) pour Michaël Franti et son groupe hip-hop/soul Spearhead. Avec Zap Mama, elles avaient touché le grand-public par leurs chants a cappella, libres adaptations de polyphonies africaines. Aujourd’hui, la sortie quasi-simultanée de leurs deux albums vient témoigner combien leurs voix ont pu suivre des voies opposées.


Désormais seule à la barre, menant son équipage et ses choristes à sa guise, Marie Daulne est Zap Mama ou, plus exactement, " Zap Mama is Marie Daulne ", dixit le livret. Toujours est-il, Zap Mama porte aujourd’hui bien son nom : sur A Ma Zone (Virgin), Marie Daulne zappe allègrement d’un genre à l’autre (funk, drum’n bass, hip-hop, " à la Björk "), comptant sur sa voix ou une coloration "urbaine" pour faire lien, et mêle aux breakbeats des instruments plus traditionnels tel le gumbri gnaoui. Nos paysages culturels s’illustrent certes par la diversité et l’éclatement mais, ici, on n’arrive pas réllement à saisir le sens de la démarche. La touche urbano-électronique a beau confirmer une nouvelle évolution de Zap Mama, à trop se jeter dans toutes les directions, on finit par tourner en rond. Et par aller nulle part. Et doit-on se moquer de l’invasion des téléphones cellulaires dans notre quotidien, comme c’est le cas ici, si l’on n’est pas capable de poser sa " zappounette " cinq minutes ? Un album agréable, bien fait, mais un peu fade et en manque de sève... D’âme quoi…

À l’inverse, pour Béti (Lusafrica/naïve), son troisième album, après Tribu et Multiculti, Sally Nyolo a choisi d’effectuer un retour aux sources. Elle a donc enregistré une partie de son album au Cameroun, pays qu’elle a quitté pour la France à l’âge de 13 ans. Le but de ce voyage était de retrouver les racines du bikutsi, genre désormais aussi célèbre que le makossa. Hors tradition, le bikutsi fut électrifié (notamment par les peinturlurés Têtes Brulées) pour faire du balloche urbain. Ici, c’est dans la forêt, auprès des femmes béti qui l’avaient créé que Sally Nyolo est revenue aux origines de ce rythme. Si sa musique est toujours centrée sur les voix et le rythme (le chant lui-même sans se livrer à des jeux de percussion vocale, est profondément rythmique), elle découvre en pays Béti l’influence de l’environnement : "ces femmes vivent dans un son ambiant puissant, elles respirent la nature et s’orchestrent par-dessus". En ayant su capter l’âme et la vibration originelle du bikutsi, Sally Nyolo poursuit un itinéraire musical des plus intéressants.


Traversons l’Afrique jusqu’à sa corne. Plus arride et dépouillé après la luxuriance béti, Numey (Cobalt) de Faytinga. La chanteuse érythréenne enregistre là son premier disque après être entrée dans la lutte armée pour la libération dès l’adolescence. Sans fioritures, accompagnée du krar (lyre) et de percussions, d’une voix haute, elle égrène ses compositions inspirées des traditions et rythmes kunama et tigrinya. L’occasion de découvrir la musique d’une région méconnue.

Olivier Cathus