le gredin


Les Innocents :
Les limites du bon goût

 

Bertrand Ricard


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Parfois il suffit de lire les critiques pour écouter un disque. Dans le cas des Innocents c’est peut être encore plus vrai que d’habitude. L’unanimité autour de ce disque ne me disait rien de bon et maintenant que je l’ai écouté cela ne fait que confirmer mes doutes.
Les Innocents sont consensuels. Ils ont de bonnes références musicales et littéraires. Ils ne prennent pas d’assaut les médias et surtout ils s’attachent à confectionner des disques les plus propres possibles et c’est là que le bât blesse, car ce disque manque singulièrement de vie. En voulant plaire à la fois à la ménagère de moins de 50 ans, au grand public donc, et aux lecteurs des Inrockuptibles, l’on ne peut que s’égarer en chemin.
Ici tout est à un tel point impeccable que l’on a l’impression d’écouter un disques des Innocents imitant l’Affaire Louis trio imitant XTC s’ingéniant à paraphraser les Beatles pour ne pas dire plus. Rien ne manque, les voix trafiquées, les guitares sous tous les formats, 6, 12 cordes et sèches, folks ou électriques. Les claviers se font remarquer par leur grande variété, l’on passe du Hammond, au Rhodes, au Moog et aux synthés classiques, il ne manque plus que le clavecin et le mellotron, mais il doit y en avoir sur une des nombreuses pistes utilisées.
Toutes les chansons font références à leurs glorieuses aînées des sixties. L’une nous remémore les Kinks, telle autre ressemble très nettement à "Mother’s nature son" des Beatles. Tout déborde tellement de références que l’on pourrait aisément employer les mots citations ou plagiat et cette règle à la fin confine sérieusement au manque d’inspiration.
C’est bien beau d’aimer les Beatles ou XTC, singer leurs disques en est une autre. Le disque tourne finalement très vite en rond sauf à une ou deux exceptions près où l’inspiration est vraiment au rendez-vous, mais finalement on garde en bouche un goût de déjà entendu.
Les Innocents sont ici victimes du syndrome de la Pop française. On se demande finalement si la France est faite pour ce type de musique si spécifique. La France nous a montré qu’elle était pleinement elle-même quand elle était métissée à l’extrême. Or ici, rien n’est sous le signe du mélange. Le disque est désespérément blanc, voire transparent ou incolore. La Pop à la française ne marche ici, nous ne le répéterons jamais assez, que mâtinée de variété. Quitte à nous faire des ennemis, nous préférons mille fois les disques d’Etienne Daho ou de Pascal Obispo qui ne se prennent pas pour des orfèvres mais qui essayent et arrivent parfois à écrire de bonnes chansons populaires. Le format Pop, veux dire populaire et trop de groupes l’oublient. Victimes du discours lénifiant des Inrockuptibles qui en fait le genre suprême et de référence absolu en matière de rock, ces groupes veulent faire de l’art et non écrire des chansons populaires. Ils sortent leurs dictionnaires musicaux et compilent tout leur savoir-faire en terme d’arrangements, de construction mélodique et de citations du meilleur goût. Mais ils négligent le fait que les Beatles, les Beach Boys, les Kinks ou les Byrds ne plagiaient pas, ils se stimulaient les uns les autres et n’oubliaient pas d’écrire de bonnes chansons, ce qui n’est pas le cas ici. Une saine émulation dont la musique sortait gagnante.
Quel peut être l’intérêt aujourd’hui de sortir un disque truffé d’arrangements passéistes et mis là pour faire beau et intelligent ? A l’opposé, Thomas Fersen innove, Bashung et M aussi. Ils se frottent au présent et cherchent de nouvelles pistes pour ouvrir à la Pop d’autres horizons.
Surtout que la pop mal faite ne pardonne pas. A l’exception de la chanson d’ouverture, les morceaux signés et chantés par Urbain sont ridicules car trop mal chantés et composés sans inspiration. Ils tiennent plus du savoir-faire et de la recette que du talent. Les morceaux signés Nataf sont plus cohérents sur l’ensemble du disque et de meilleure facture. "La Petite flamme" est même une très bonne chanson, mais Nataf veut trop plaire et séduire, il devrait quitter les autres et entamer une carrière solo où il ne serait pas obligé de respecter des normes et des calibres certifiés Pop française. Le fait que Les Innocents soit l’un des meilleurs groupes pop français en activité (si ce n’est le meilleur depuis la déconfiture de l’A.L.T) indique la pauvreté et les limites du format aujourd’hui. Même les textes ne font guère mouche, trop alambiqués ou naïfs. Sous cette forme, la Pop touche des adultes et les Innocents nous donnent des textes d’adolescents. Au final un disque faiblard et hors de propos face à la concurrence. Etre sympathique ne suffit pas, il ne faut pas oublier que la pop n’a rien à voir avec le passé, Beck nous l’a montré l’année dernière avec son album Mutations et vient de nous le rappeler. On peut en 2000 faire de la Pop et innover.


Berric.