le gredin


Zeca Baleiro

Le rock-embolada ou l'envol d'un auteur

Olivier Cathus


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Zeca Baleiro est encore quasiment inconnu ici mais son album Vô imbola (MZA) est pourtant une belle bombe dans le paysage de la MPB 1999, au même titre que le nouvel album de Lenine. Révélation masculine de 1997 avec Por onde andarà Stephen Fry, Zeca Baleiro revient ici mettre la barre plus haut encore que sur ce premier essai. Vô imbola sorti au Brésil en avril 1999, est, après la révélation, une confirmation haut la main.

Et, en effet, Por onde andarà Stephen Fry en prend des allures de simple brouillon brillant. Si les talents d’auteur-compositeur-interprète étaient déjà très affirmés et s’il s’ouvrait par un sympathique "Heavy Metal do Senhor", c’est par le son et les arrangements que cet essai montrait ses limites. Le son était encore timide ou, pour tout dire, faiblard et les arrangemenst sympas mais sans grande originalité. Cette fois-ci, Zeca Baleiro est allé chercher Celso Fonseca pour co-produire le disque et le son a pris, du coup, une sacrée étoffe, s'est fait urbain en rameutant guitares électriques, samples et tout le toutim et mêlant toujours les deux facettes de l’auteur : ballades et morceaux plus dansants (ou remuants).


Mais d’abord, il faut dire le côté atypique de Zeca Baleiro par rapport à l’idée que l’on se fait généralement en Europe de la musique brésilienne. Cela n’a rien à voir avec un soi-disant côté rock que la MPB n’a eu de cesse d’intégrer et digérer depuis les Mutantes jusqu’à Chico Science. Non, c’est autre chose, c’est la voix elle-même de Zeca Baleiro, et les guitares, aussi.
En effet, peut-être parce que le nord du Nordeste, le Maranhão en l’occurrence, est plus près de l’Europe, la voix de Zeca Baleiro nous ferait de prime abord presque plus penser à l’Italie qu’au Brésil. Ce fut en tout cas la première réaction de nombre de personnes à qui je fis écouter l’album. Evoquant successivement Fabrizio de André depuis qu’il s’est mis à chanter en vieux dialecte gênois, Jovanotti pour la touche rap ou Vinicio Capossela pour l’ambiance fanfaronne de "Boi de haxixe" et où les cuivres soufflent un beau barouf de taraf tzigane émêché ou de banda de fin de soirée plus qu’ils ne jouent en section policée-nickel-chrome. C’est le registre vocal même de Zeca Baleiro, assez grave plus que suave, qui contribue à ce que, parfois, on semble ici plus proche d’une sorte de pathos transalpin que de la saudade brésilienne. Ou c’est encore "Tem que acontecer" qui évoquerait même une certaine manière de duende.
C’est un autre Brésil, plus inattendu, très rock-folk aussi, que représente Zeca Baleiro. C’est ainsi que l’on notera la prédominance des guitares folk, aux cordes métalliques, sur le traditionnel violão, la guitare classique brésilienne, aux cordes de nylon. En fait, pour situer les références du bonhomme, on dira que Zeca Baleiro s’inscrit plus dans la droite continuité de Zé Ramalho, sorte de Dylan régional, qu’il n’est proche des Caetano ou Gil bahianais. L’influence nordestine se retrouve également dans une reprise du "Pagode russo" de Luiz Gonzaga. Pour autant, il n’oublie pas les racines samba cariocas en reprenant le magnifique "Disritmia" de Martinho da Vila (un peu maladroitement certes, tirant le morceau vers le slow rock un peu lourd, ce qui au demeurant ne fait que mieux ressortir la richesse de la composition) ou en invitant Zeca Pagodinho pour un "Samba do approach" balancé en portuglish rigolard.
Un beau festival qui, d’emblée, commence fort avec le titre "Vô imbola". Zeca Baleiro y ouvre le bal en posant un flow à perdre haleine (un débit qu’il maîtrise suffisamment bien pour lui permettre de tenir le rôle de Mestre de Ceremonia lors d’un spectacle de l’édition 1999 de PercPan) sur fond de guitares électriques et de grosses basses bien rondes, Marcos Suzano (compère de Lenine) se chargeant de titiller l’indispensable pandeiro et les chœurs de gonfler le final. Sur "Pagode russo", un triangle initie le rythme tandis que le violon se fait fiddle plus que vivaldise alors que les guitares sont toujours de la partie. Autre titre puissant, "Piercing" (une pratique dans laquelle il ne voit qu’une mortification car dépourvue de tout fondement religieux). On atteint là le gros son des fusions rock, une paire de rappeurs viennent faire monter l’adrénaline et scratches et guitares lourdes en bon ménage jouent tout pour le kif.
Au rayon des ballades, la touche arty-bohême s’exprime sur "Bienal" où il ironise sur la "dématérialisation de l’oeuvre d’art" et sur l’émouvant "Maldição" qui vient clore l’album, un bel hommage aux poétes maudits (Baudelaire, Macalé, Luiz Melodia…) sur un accompagnement de cordes sobre et adéquat.
Zeca Baleiro, comme beaucoup de ses compatriotes musiciens, n’aime rien tant que multiplier les influences, entre tradition et modernité, prendre du bric et du broc, manier l’art (brut ?) de la récup’ et, par la digestion de tout cela, se forger son propre style, celui de Zeca s’ornant donc d’une petite touche bohême. Un artiste à la personnalité aussi marquée mérite vraiment d’être découvert.

Olivier Cathus

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