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Zeca
Baleiro est encore quasiment inconnu ici mais son album Vô
imbola (MZA) est pourtant une belle bombe dans le paysage de la
MPB 1999, au même titre que le nouvel album de Lenine. Révélation
masculine de 1997 avec Por onde andarà Stephen Fry, Zeca
Baleiro revient ici mettre la barre plus haut encore que sur ce premier
essai. Vô imbola sorti au Brésil en avril 1999,
est, après la révélation, une confirmation haut la
main.
Et, en effet, Por
onde andarà Stephen Fry en prend des allures de simple brouillon
brillant. Si les talents dauteur-compositeur-interprète étaient
déjà très affirmés et sil souvrait
par un sympathique "Heavy Metal do Senhor", cest par le
son et les arrangements que cet essai montrait ses limites. Le son était
encore timide ou, pour tout dire, faiblard et les arrangemenst sympas
mais sans grande originalité. Cette fois-ci, Zeca Baleiro est allé
chercher Celso Fonseca pour co-produire le disque et le son a pris, du
coup, une sacrée étoffe, s'est fait urbain en rameutant
guitares électriques, samples et tout le toutim et mêlant
toujours les deux facettes de lauteur : ballades et morceaux plus
dansants (ou remuants).
Mais dabord, il faut dire le côté atypique de Zeca
Baleiro par rapport à lidée que lon se fait
généralement en Europe de la musique brésilienne.
Cela na rien à voir avec un soi-disant côté
rock que la MPB na eu de cesse dintégrer et digérer
depuis les Mutantes jusquà Chico Science. Non, cest
autre chose, cest la voix elle-même de Zeca Baleiro, et les
guitares, aussi.
En effet, peut-être parce que le nord du Nordeste, le Maranhão
en loccurrence, est plus près de lEurope, la voix de
Zeca Baleiro nous ferait de prime abord presque plus penser à lItalie
quau Brésil. Ce fut en tout cas la première réaction
de nombre de personnes à qui je fis écouter lalbum.
Evoquant successivement Fabrizio de André depuis quil sest
mis à chanter en vieux dialecte gênois, Jovanotti pour la
touche rap ou Vinicio Capossela pour lambiance fanfaronne de "Boi
de haxixe" et où les cuivres soufflent un beau barouf de taraf
tzigane émêché ou de banda de fin de soirée
plus quils ne jouent en section policée-nickel-chrome. Cest
le registre vocal même de Zeca Baleiro, assez grave plus que suave,
qui contribue à ce que, parfois, on semble ici plus proche dune
sorte de pathos transalpin que de la saudade brésilienne. Ou cest
encore "Tem que acontecer" qui évoquerait même
une certaine manière de duende.
Cest un autre Brésil, plus inattendu, très rock-folk
aussi, que représente Zeca Baleiro. Cest ainsi que lon
notera la prédominance des guitares folk, aux cordes métalliques,
sur le traditionnel violão, la guitare classique brésilienne,
aux cordes de nylon. En fait, pour situer les références
du bonhomme, on dira que Zeca Baleiro sinscrit plus dans la droite
continuité de Zé Ramalho, sorte de Dylan régional,
quil nest proche des Caetano ou Gil bahianais. Linfluence
nordestine se retrouve également dans une reprise du "Pagode
russo" de Luiz Gonzaga. Pour autant, il noublie pas les racines
samba cariocas en reprenant le magnifique "Disritmia" de Martinho
da Vila (un peu maladroitement certes, tirant le morceau vers le slow
rock un peu lourd, ce qui au demeurant ne fait que mieux ressortir la
richesse de la composition) ou en invitant Zeca Pagodinho pour un "Samba
do approach" balancé en portuglish rigolard.
Un beau festival qui, demblée, commence fort avec le titre
"Vô imbola". Zeca Baleiro y ouvre le bal en posant un
flow à perdre haleine (un débit quil maîtrise
suffisamment bien pour lui permettre de tenir le rôle de Mestre
de Ceremonia lors dun spectacle de lédition 1999
de PercPan) sur fond de guitares électriques et de grosses basses
bien rondes, Marcos Suzano (compère de Lenine) se chargeant de
titiller lindispensable pandeiro et les churs de gonfler
le final. Sur "Pagode russo", un triangle initie le rythme tandis
que le violon se fait fiddle plus que vivaldise alors que les guitares
sont toujours de la partie. Autre titre puissant, "Piercing"
(une pratique dans laquelle il ne voit quune mortification car dépourvue
de tout fondement religieux). On atteint là le gros son des fusions
rock, une paire de rappeurs viennent faire monter ladrénaline
et scratches et guitares lourdes en bon ménage jouent tout pour
le kif.
Au rayon des ballades, la touche arty-bohême sexprime sur
"Bienal" où il ironise sur la "dématérialisation
de loeuvre dart" et sur lémouvant "Maldição"
qui vient clore lalbum, un bel hommage aux poétes maudits
(Baudelaire, Macalé, Luiz Melodia
) sur un accompagnement
de cordes sobre et adéquat.
Zeca Baleiro, comme beaucoup de ses compatriotes musiciens, naime
rien tant que multiplier les influences, entre tradition et modernité,
prendre du bric et du broc, manier lart (brut ?) de la récup
et, par la digestion de tout cela, se forger son propre style, celui de
Zeca sornant donc dune petite touche bohême. Un artiste
à la personnalité aussi marquée mérite vraiment
dêtre découvert.
Olivier
Cathus
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