le gredin

 

BAHIA,
AVEC UN B COMME BYZANCE

Olivier Cathus


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Le Brésil fête en cet an 2000 ses cinq cents ans. Tout au long de l’année, le Gredin participera à cette célébration. Nous rendrons ainsi hommage à ce pays fascinant, que ce soit par les participations de nos correspondants ou que ce soit par une rétrospective musicale. Mais nous commençons tout d’abord cet hommage au Brésil par un flashback et un autre hommage, un hommage appuyé à Bahia et sa capitale Salvador.
En effet, Salvador, capitale de l’état de Bahia, a fêté, à la fin mars 1999, ses 450 ans. À la même période, quelques jours plus tôt se déroulait le 6ème PercPan (Panorama Percussivo Mundial)... Retour sur ces deux événements en fondu-enchaîné...


Toujours emmené par Gilberto Gil et Nana Vasconcelos, ce festival-panorama ne se contente pas d’organiser des concerts mais propose aussi ateliers et rencontres. Les participants y présentent ainsi leur art, leurs rythmes et leurs instruments à un attroupement curieux ou se confrontent à une autre formation, généralement locale. Car si le panorama est mondial, les groupes locaux sont bien représentés tant à Bahia les percussions font la vibration quotidienne et donnent son identité musicale à la région.


L’inauguration, le 24 mars, innovait cette année et se présentait sous la forme d’une grande parade de rue. Délaissant pour la soirée le Théâtre Castro Alvès, la cérémonie se déroulait à sa porte quasiment, sur le Campo Grande, cette grande place en centre ville. Là, autour du monument, des petites scènes disposées en cercle. Sur la place, la foule tranquille par petits groupes attendait en espérant qu’il ne pleuve pas, saison des pluies oblige. Heureusement il n’en fut rien et les batucadas purent l’une après l’autre commencer leur défilé, accompagnés de danseurs, jusqu’à occuper chacune des petites scènes autour de la place. Les tambours du monde prenaient place.

Bien que les Tambours du Burundi soient toujours aussi remarqués et spectaculaires, les blocs afros bahianais Malê et Muzenza, en rangs serrés, n’étaient pour l’occasion pas les moins discrets.


Après le défilé, c’était maintenant au son de tourner. La mise en scène circulaire révélait à merveille sa logique : le festival est un panorama, ce soir à 360°, et les rythmes tournent. Donc les sons, et en conséquence le public, aussi tournent. Donc, chacun son tour, les ensembles attaquaient leur mini-concert, chaque petite scène voyait se tasser le public alors que le groupe entamait sa partie.

Nana Vasconcelos, tambour en bandoulière, et Gilberto Gil, tout en blanc aux couleurs des Filhos de Gandhi, se faisaient sobres Maîtres de Cérémonie, ne s’octroyant pas plus de temps que les autres groupes, les Malê, Muzenza, Silverclouds Singers, Indios do Xingu, Tambores de Crioula do Maranhão, Issucatasom ou Tambours du Burundi...
Cette inauguration était un beau spectacle, tout simplement, une chaleureuse parade mondiale (même si l’Europe n’y était pas représentée) sans chichis ni fioritures artificielles, et un sincère message universel délivré en chanson par Gil. On aurait juste aimé que cela dure plus longtemps...


Sans perdre de temps, le lendemain après-midi, je filais au Largo Tereza Batista, au coeur du Pelourinho, pour assister à la rencontre du jour. Une rencontre entre " indiens ". D’un côté, les " régionaux de l’étape ", j’ai nommé les Apaxes do Tororo : tous noirs ! De l’autre, les Silverclouds Singers, Amérindiens des Etats-Unis, un peu pâlots (et limite obèses) il faut bien dire. D’ailleurs, l’un d’entre eux avait même pris un méchant coup de soleil sur ses mollets d’aspirine, lesquels étaient pour l’occasion plus " peaux-rouges " qu’il ne l’aurait souhaité.
Sans perdre de temps, façon de parler, en s’armant de patience serait plus juste. La rencontre a pris du retard. L’assistance, dans un espace à ciel ouvert, était pour le moins clairsemée. Il n’y avait pas foule : une majorité de lycéens en goguette et se goinfrant de chips Pringles (sponsor du festival) et quelques journalistes, principalement...


L’encontro commençait par une présentation du répertoire de chacun. Les Apaxes do Tororo commencèrent donc et martellèrent leurs rythmes un bon quart-d’heure avec leur bonne quinzaine de percussionnistes présents pour l’occasion (mais une quinzaine ne représente qu’une infime proportion de leur nombre total). Ensuite les Silverclouds Singers y allèrent de leurs chants en tapant un énorme tambour rond autour duquel ils étaient assemblés.

Puis, ce fut le temps de l’encontro proprement dit : on s’échange les instruments, on se prête les baguettes. Et c’est là que les pauvres Silvercloud Singers furent le plus à la peine : quand il durent essayer de suivre le rythme des Apaxes sur les tambours que ces derniers leur avaient prêté pour l’occasion. Sûr que ça les changeaient de leur boum-boum lancinant, de leurs battements patauds. Ils se trouvaient même franchement en galère, n’arrivant pas à choper le truc, l’imparable groove bahianais. Au bout d’un moment, les charitables Apaxes durent les aider : en attrapant par les poignets chaque Silvercloud Singer tenant des baguettes et en lui imprimant ainsi la cadence, sacré image ! Comme un adulte qui empoignerait la main d’un enfant de maternelle pour l’aider à écrire son nom. C’était visiblement le seul moyen de les faire battre en cadence.


Le soir de ce même 25 mars, première soirée au Théatre Castro Alvès. Gil et Nana étaient toujours les MC’s et venaient régulièrement assurer les intervalles entre les groupes. Un vaste plateau était au programme, alternant les rythmes les plus anciens et archaïques, comme ceux des Indios do Xingu, aux plus savants, comme par exemple ceux du pauliste Dalga Larrondo (diplomé du Conservatoire de Rueil Malmaison) ou, encore, mêlant les deux comme lorsque Egberto Gismonti, au piano, partagea la scène avec les indiens camaiuras do Xingu emmenés par son vieux " maître spirituel ", le pajé Sapaim.


Autre performance, accompagné de Leon Gruenbaum aux claviers et effets sonores, et du percussioniste Cyro Baptista, Nana Vasconcelos se lançait dans une Techno Suggestion qui ne devait pourtant pas grand-chose à la techno. C’était bien un mix de percus live et d’électronique mais cette dernière dimension " techno " était réduite à sa portion la plus minimale, et hyper-cheap par-dessus le marché.


Nana revint sur la fin avec une autre formation, plus festive et colorée : Evocação A Pernambuco, constituée pour l’occasion. Un peu à la façon d’Alfredo Rodriguez et son spectacle " Cuba Linda " pour les musiques cubaines, Evocação A Pernambuco revisite le patrimoine musical traditionnel (maracatu, etc...) de l’état nordestin, aujourd’hui carrefour des nouvelles musiques au Brésil. Cette " évocation ", folklorique sur les bords, dégageait un bel enthousiasme, car que demander de plus quand aux tambours s’ajoutent les chants de toute la troupe et la présence tonique de jolies danseuses costumées de couleurs vives ? Peut-être un espace plus festif... En effet, le TCA est un beau théâtre, les fauteuils y sont bien confortables, le fond de l’air frais climatisé mais, dans ces conditions, nulle fosse pour que le public danse de concert.


Enfin, la soirée se finissait par une prestation toujours aussi énergique et impressionnante des Tambours du Burundi.


Le lendemain matin, le 26 mars, Zakir Hussain animait un workshop, accompagné au ghatam de Vinayalaram, son vieux compère de Shakti. Le plus célèbre des joueurs de tabla, devant un parterre attentif, assis en U devant lui, passa deux heures à nous présenter, avec beaucoup d’humour, son instrument et à essayer de nous expliquer les savantes constructions rythmiques indiennes, totalement différentes des brésiliennes. Il y a en Inde du Nord, disait-il, environ 360 rythmes différents. Lui-même, le virtuose mondial, en quarante ans de pratique des tablas, en connaissait 20 ou 22 ! Pour nous montrer les possibilités mélodiques de l’un des deux tambours, il s’amusait entre deux questions à jouer quelques notes de " Garotta de Ipanema ", taquinait le gros ventre de son compère, qu’il prétendait indispensable pour bien caler le ghatam (tambour de terre), et ayant donc eu besoin pour cela d’ingurgiter d’énormes quantités de riz.
Et moi, j’étais là, tout fraichement arrivé à Salvador, mettant pour la première fois les pieds en Amérique, à l’autre bout du monde, en train d’écouter captivé deux types qui venaient eux-aussi du bout du monde, mais pas le même bout que moi ! Global village ? C’est vrai que Gilberto Gil, en tant qu’organisateur, ne pouvait qu’essayer d’ouvrir ce festival à cette quête de l’universel qui l’anime depuis toujours...


L’après-midi, un encontro de choc, toujours au Largo Tereza Batista : Olodum et les Tambours du Burundi. Il y avait plus de monde que la veille, ça s’entassait serré en attendant que ça déboule. Et quand ça déboula, ce fut puissant. À deux mètres des surdos, sûr qu’il n’y avait pas besoin de micros ! Hélas, ils ne jouèrent pas ensemble. Ce fut pourtant une réelle rencontre. Tout d’abord, après deux invitations déclinées pour cause de guerre civile, c’était la première fois que les Tambours du Burundi avaient l’occasion de venir participer à ce festival. Et, si Olodum et eux ne firent pas tourner le rythme ensemble, les regards échangés des percussionnistes devant les performances de l’autre groupe témoignaient d’un fort respect. Les tambourinaires d’Olodum en particulier semblaient le plus impressionnés, ou au moins sensibles à ce que leurs rythmes " viennent " en quelque sorte de là...

Ce même soir, je ne retournai pas au TCA pour la deuxième soirée du festival. Bien que ratant pour l’occasion la réunion de Zeca Baleiro (en M.C. de l’imbolada) et des Tambores de Crioula do Maranhão, ce fut sans regret. Et pour cause, Caetano Veloso passait à la Concha Acoustica, le grand amphithéâtre en plein air, situé juste derrière le TCA.


Caetano arrivait dans sa ville présenter la tournée " Prenda minha ". Et le moins que l’on puisse dire est qu’il fut très fidèle aux versions du disque-live : mêmes chansons, mêmes arrangements, mêmes enchaînements aussi. Heureusement c’était quand même plus long que le disque, notamment parce qu’il joua plus de morceaux tirés de " Livro " et plus de vieilles incontournables chansons de son répertoire.

J’étais très enthousiaste : je voulais enfin le voir jouer " à domicile ". Au final, ça ne change pas grand-chose dans le sens où, jusqu’à encore récemment, la moitié de la salle était brésilienne lors de ses concerts parisiens ! Et, par conséquent, reprenait en choeur les inusables " Sampa " et " Terra ". Une différence notable toutefois, en France les salles où il se produit sont plus petites. Tandis que là, c’est vaste.

La Concha est un immense amphithéâtre qui tire son nom de sa forme de coquillage. D’en haut, alors que j’attendais pour m’acheter une bière, Caetano était vraiment tout petit sur scène. L’attente se faisant longue, je tapais la causette avec un Pauliste aisé installé à Salvador (car " à São Paulo, il n’y a que le boulot qui compte "). Il m’indiqua, à deux mètres au-dessus de nos têtes, dans la loge d’honneur, un type qu’il ne semblait pas porter dans son cœur mais dont il me dit qu’il était l’homme le plus important du Brésil. C’était A.C.M., Antonio Carlos Magalhães, le Président du Sénat brésilien, ancien Gouverneur de l’Etat de Bahia et maire de Salvador. Ceci dit, la belle jambe que ça me faisait...


Et je dois également dire que je n’ai pas assisté au final de PercPan le lendemain, toujours au TCA, avec tous les artistes invités sur scène mais rien de nouveau non plus... Parenthèse : j’avais été plus curieux de voir à quoi pouvait ressembler ici une soirée techno que certains appelaient déjà abusivement une rave. L’événement avait lieu dans un petit théâtre, le Teatro XVIII, dans le bas du Pelourinho. Le public était jeune, plutôt étudiant ou issu des classes moyennes. L’appelation " techno " s’entendait au sens large puisqu’on y écoutait pas mal de big beat, à base des incontournables Fatboy Slim ou Propellerheads. Le plus étonnant, mais très anecdotique, fut de remarquer que les Dj’s utilisaient des Cds. Restons-en là et laissons les puristes hurler au blasphème, au crime de lèse-majesté à l’égard des vinyls : fin de la parenthèse.


Le festival, il faut bien le reconnaître, n’accaparait pas toute l’attention, loin s’en faut. Pendant ces jours-là, la ville se préparait à fêter ses 450 ans. Des ouvriers plantaient des scènes sur les places, ou encore sur la plage de Barra où était également édifié un vague chateau décoré de gros pantins (statues de carton-pâte ?) représentant les acteurs de la découverte de Bahia...


La ville de Salvador allait donc se célébrer, fêter son anniversaire. Pour fêter, il est vrai qu’à Bahia tous les prétextes sont bons et les pré-fêtes de rigueur. Et quand Salvador est fêté, la fierté des Bahianais est proprement étonnante, chacun se fait fort d’être un propagandiste enflammé de sa " Terra da felicidade ". L’anniversaire de la ville fut fêté par son lot de commémorations académiques, ses reconstitutions historiques aussi pataudes que partout ailleurs où n’existe pas le Royal de Luxe, mais le plus important des réjouissances fut bien sûr la musique.

Le dimanche 28 mars, au soir, à la Dique do Tororo, Margareth Menezes était la meneuse de revue d’un concert rassemblant rien moins que Gilberto Gil, Tom Zê, Lazzo, les Filhos de Gandhi ou Ilê Ayiê. Dans cet espace vert au milieu des échangeurs d’autoroutes, proche d’un lac artificiel du genre de celui du Bois de Vincennes, les statues des Orixas autour en plus, s’était plantée la scène.
Le concert était bien sûr gratuit et la foule serrée et distraite. Les roulottes à boissons et à fritures ne se souciaient pas le moins du monde des artistes sur scène et mettaient leur propre musique à fond. Alors même que Gil était seul sur scène et commençait par " No woman no cry ", une partie du public semblait se satisfaire d’être là et dansait au son de leur propre sono crachant des pagodes saturées et éraillées et se faisant aussi envahissantes que les fumées de saucisses grillées et les coups de klaxons en veux-tu en voilà. Ambiance bon enfant, bonne ambiance. Pas la transe mais une bonne ambiance. En repensant à nos grands concerts en plein air, à nos nuits musicales dans les rues de Paris, à l’occasion de Fêtes de la Musique ou des antiques concerts de SOS Racisme, on n’est pas vraiment dépaysé en ce sens que par endroits ça danse, ailleurs non, la foule est juste là debout devant la scène à écouter le concert. Pareil ? En tout cas, c’est pas le Carnaval.
Le lendemain, sur la place Castro Alvès (encore lui, qui est-ce ? un poète bahianais du XIXème siècle ayant combattu pour l’abolition de l’esclavage), carrefour habituel du carnaval, la foule se (com)pressait pour l’historique concert de Caetano Veloso et sa soeur Maria Bethânia, réunis par l’importance de l’événement.
En France, depuis grosso modo Circulado (1991) et Fina estampa (1994), Caetano est sorti de la confidentialité pour être découvert par un public sans cesse plus large. Enfin apprécie-t-on à sa juste valeur sa sophistication veloutée et on lui souhaiterait même une célébrité plus grande. Par contre, ici, il n’y en a que pour lui. Outre ses mines et humeurs de cabot-chochotte, une partie du public commence à être atteint d’une certaine lassitude et, surtout, lui reproche de trop devenir l’ "artiste officiel" de Bahia (et aussi d’être un peu trop ami des A.C.M. et autre F.H.Cardoso). Il faut dire aussi que la famille Veloso, elle a quelque chose d’omniprésent à Salvador.
Tout d’abord les chansons de Caetano, bien sûr. Là, c’était sa version de " Sozinho " qui était sur toutes les lèvres prises de fredonnement impromptus, qui était la plus acclamée et reprise en choeur aux concerts. J’en fus très étonné lors du concert à la Concha, certes il la reprend sur " Prenda minha " mais je n’aurais pas soupçonné qu’elle serait celle qui décrocherait la timbale à l’applaudimètre ! Incroyable popularité que je ne compris que quelques jours plus tard devant la télé : pardi, " Sozinho " fait partie de la bande sonore de " Suave veneno ", une novela du moment !
Parenthèse sur la télé brésilienne... Une autre fois, je tombais sur un gros navet avec Demi Moore (a-t-elle fait autre chose que des navets ?) et je fus assez étonné du doublage. En effet, dans ce mélo-cucul, j’entendis un gros smaaarck-sluup alors qu’elle embrassait le héros. Et je suis persuadé que ce smaaarck-sluurp n’était pas dans la version originale, d’autant que pour les baisers hollywoodiens ils mettent pas la langue, je vois mal la Demi Moore et son partenaire en tirer des bruits aussi juteux (juteux au sens propre). Les acteurs du doublage se sont donc certainement plus " lâchés " que ceux que l’on voyait à l’écran...
Mais revenons à nos Veloso. Les Veloso sont partout. À tel point que l’on se croirait presque au " jeu des 7 familles " ! Outre Maria Bethânia, la grande soeur Mabel est poètesse, les fils régulièrement invités sur scène, la mère Dona Cano, assise ce soir-là dans un fauteuil en coulisses (ou dans la loge voisine de celle d’A.C.M., à la Concha), sans oublier, dans l’espace VIP faisant face à la scène et qui évitait au beau monde d’être serré avec la populace (et où moi-même je m’étais faufilé grâce à une amie ayant les bonnes relations), sa jeune femme (aux airs très bourge) et un des grands frères, la soixantaine, presque son portrait craché en version plus "notable " (du moins jusqu’à ce que le concert commence et avant qu’il ne s’enflamme plus que la partie de la famille sur scène !).
Je étais on ne peut plus réjoui d’être là. Ce concert était historique, sans déc’. Et puis, les voir tous les deux ensemble, c’était pour moi rare et même inédit. Dans l’attente, je fus pris d’un " effet-madeleine ", je me souvenais de la découverte de leurs disques, et, à ce moment, en particulier d’un vieux vinyl, un live où ils partageaient l’affiche et où j’avais été frappé d’entendre à quel point sa voix à elle était plus forte et grave que celle de son frère et, presque, la couvrait.
Quand ils entrèrent sur scène, je fus ravi de les voir commencer par une chanson que j’aime tout particulièrement, " Os mais doces barbaros " qui ouvrait aussi l’album-live éponyme de la " bande des 4 ", avec Gil et Gal.
Caetano et Bethânia égrenèrent ensuite un chapelet incontournable ce soir-là, de célébrissimes chansons à la gloire de Salvador et de Bahia car, comme le faisait justement remarquer Juremir Machado da Silva, " pour un Bahianais, dire " Bahia " c’est déjà de la poésie ". Même si le groupe de Bethânia les accompagnant ce soir était particulièrement lourdingue et sans finesse, à mille lieues des musiciens de Caetano, ce fut pour moi inoubliable et grand.
Autre grand moment dans le concert, la partie où Caetano se retrouva seul avec sa guitare. Le public sur la place, populaire et coloré, chantait et reprenait toutes ses paroles par coeur. Populaire, oui. Car, à 20 réals l’entrée, ce n’était pas lui qui risquait d’avoir accès à son show de la Concha. Et ce soir, le public populaire en donnant de la voix, se rattrapait de tous les autres shows manqués faute d’assez de grana. La version de " Tieta ", par exemple, que Caetano jouait tout seul en s’accompagnant de sa guitare, fut vraiment reprise par toute la place noire de monde avec un entrain ébouriffant.
Cette séparation des publics est une constante ici. Même dans le Candéal, la favela d’où est originaire Carlinhos Brown, c’est pareil : quand Timbalada donne un concert au Guetho Square, ce sont les jeunes des classes moyennes qui s’y rendent. Les riverains, eux, suivent le concert depuis la rue. On voit cela partout, dans le Pelourinho aussi, si l’entrée est payante, l’ambiance est parfois plus relevée dans la rue, en face d’un bar musical que dedans. Et c’est aussi un des paradoxes de la musique brésilienne que la M.P.B. (Musique Populaire Brésilienne, l’équivalent de la Chanson ici, ndla) soit aujourd’hui plus représentative des goûts des classes moyennes tandis que la vraie musique populaire bahianaise est à chercher du côté du samba-pagode, de la axè, de la sertaneja (country locale), voire du samba-reggae ou des afoxès (plus traditionnels).

Au final, cette célébration des 450 ans de Salvador fut sympathique et chaleureuse mais la ville se remettait encore de l’effervescence carnavalesque et l’anniversaire se déroula sans excessifs débordements festifs. La dimension festive était-elle diluée dans les aspects officiels de l’événement ? Et puis, la fête n’a pas besoin d’anniversaire ici. Tenez, sans parler des week-ends, c’est déjà chaque mardi la fête au Pelourinho...
Chaque mardi donc, pour se mettre les orixas dans la poche, pour s’acquérir leur clémence, est organisée la Festa da Benção, la fête de la bénédiction. Sans être un prétexte, s’il y a une origine religieuse aux réjouissances, ces dernières sont on ne peut plus profanes.
À Paris, les employés municipaux, chaque semaine, sortent les tubes métalliques et montent les structures des marchés. Ici, les employés municipaux, chaque lundi, sortent les tubes métalliques pour monter la structure des scènes de concert où se produiront des ramifications des pieuvrissimes Olodum et Muzenza. Des tambours à gogo, des tambours en pagaille, un véritable PercPan hebdomadaire. Sans parler des répétitions quotidiennes que l’on peut entendre au détour des rues du Pelô.
En tout cas, Bahia, ça commence avec un B. Comme Byzance...


Olivier Cathus