le gredin

Olivier Cathus

FAF' LA RAGE :

LA BONNE CAUSE


Entretien



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Tu es dans le hip-hop depuis maintenant une dizaine d'années, comment as-tu commencé ?


Moi, je suis venu d'abord par le rap et ensuite vraiment au hip hop, quand tu réalises que c'est une culture. Au début des années 80 quand les premiers morceaux de rap sont arrivés en France, j'ai commencé à m'intéresser à ça, parce t'es jeune, tu te cherches un peu, tu vois. Et puis quand j'ai entendu ça, ça m'a retourné : c'est quoi cette musique, c'est trop fort tout ça ! Petit à petit, j'ai commencé à m'y intéresser vraiment et puis, à un moment donné, je me suis dis : pourquoi moi j'écrirais pas, quoi. Et là tu commences à te dire, tiens ce serait bien que je puisse m'y mettre. Alors au début tu n'écris que des conneries mais après tu travailles, tu travailles, tu travailles. Après, j'ai monté le groupe Soul Swing, d'abord Soul & Radical, puis Soul Swing avec Def Bond, K-Rhyme le Roi, Dj Majestic, Dj Rebel. Le groupe s'est créé en 88 et a duré jusqu'en 96. Donc on a un parcours ensemble. Beaucoup aussi par l'intermédiaire d'IAM au début, on faisait leur 1ères parties, des trucs comme ça. En 96, j'ai commencé à faire mes propres productions, donc à acheter du matériel et faire mes propres musiques, mes propres sons. Peu de temps après que le Soul Swing ait sorti son premier E.P., le groupe s'est séparé donc j'ai continué en solo avec Kif-Kif Prod.. La logique après, c'était l'album. Un parcours qui s'étend à partir du moment où j'ai commencé vraiment à m'investir musicalement et à écrire depuis 88. Quand c'est arrivé en France, j'ai suivi puis j'en ai fait partie. C'est là que c'est le hip hop, t'as pas envie juste d'écouter, t'as envie d'en faire partie.


- Tu fais partie des pionniers, il n'y avait donc guère de « grands frères » pour t'aiguiller, te conseiller à tes débuts ?

Moi mes aînés, en fait, ça a été IAM. A l'épôque, ils s'appelaient B-Boy Stance. Ils ont commencé à écrire avant moi et, dès 90, sur les radios marseillaises, ils avaient des freestyles et quelques titres. C'est les premiers mecs que j'ai entendu rapper en français. Ca a été mes aînés parce qu'après avec le Soul Swing, on a fait des trucs ensemble. Les aînés, en fait, c'est assez délicat parce qu'entre nous y'a pas eu trop ça. Ils savent que j'écris depuis longtemps. Alors ils sont les aînés parce qu'ils ont sorti des albums bien avant nous et pour qu'on bénéficie de cette expérience-là, pour la technique, pour se servir des machines, pour les samples. Je suis devenu vraiment accro de la recherche. Et j'écrivais avec Akhenaton et mon frère Shurik'n. On était liés quoi.


- Eux n'avaient pas d'aînés ici mais ils ont fait beaucoup de voyages aux Etats-Unis ?

Oui, ils sont partis très tôt, surtout Khéops et Akhénaton. Khéops arrivait avec tous les disques de là-bas, il ouvrait la mallette et on passait la journée à écouter les sons qu'il avait ramené.
En France, au début, il y a eu l'attrait pour la musique, puis pour la culture hip hop, encore après le Mouv', mais il ne s'est pas fait en un jour...
Ca s'est fait progressivement. Moi, j'ai vécu ça de Marseille. Nous, en 89, on faisait nos trucs à Marseille, on savait qu'il se passait des trucs à Paris mais on était quand même assez renfermés sur nous-mêmes dans le sens où on n'avait pas toujours l'occasion de monter sur Paris pour voir ce qui s'y passait. Pour nous, au début, le hip hop à Marseille, c'était 30 ou 40 personnes. On était au Vieux-Port avec nos postes à délirer et les gens ne comprenaient pas : c'est quoi, ces arabes, ces noirs ! Mais il y avait de tout, c'était très mélangé, il n'y avait pas le côté racial en France. Dans le hip hop, moi je l'ai toujours vécu comme ça. Les gens, ils hallucinaient, ils avaient peur même en nous voyant. Et puis, tu vois après les 30 ou 40 personnes, ça a vite grossi. Et puis IAM, ils ont vachement bossé et il y a eu de plus en plus de monde, la bande s'aggrandissait. Ca a grandi un peu à l'image du hip hop français. Nous, on était un peu dans une espèce de microcosme et petit à petit, on est arrivé à exploser. Marseille a beaucoup bénéficié de la notoriété et du travail de IAM pour pas mal de choses. Petit à petit, ça s'est aggrandit. Maitenant, tu vas dans n'importe quel quartier, il y a un groupe qui fait des soirées... Tu te retrouves avec des salles pleines même quand c'est un groupe inconnu qui passe, tous les jeunes arrivent et voudraient prendre le micro. Alors que nous, à l'époque, il n'y avait en tout et pour tout que 30 à 50 personnes et à peine deux ou trois mecs qui voulaient prendre le micro parce que les gens n'étaient pas habitués à ça.


- Le hip hop est une culture jeune mais penses-tu qu'un rapper puisse avec son vécu, et peut-être plus de recul, se bonnifier avec l'âge ?

Pour moi, j'ai 27 ans, je suis jeune. Comme tu dis, il y en a qui n'y voient qu'un truc pour les gamins. Nous, pourtant, ça fait plus de 10 ans. C'est clair que c'est une musique de jeune, c'est clair que le rap est une musique jeune. Ca a démarré à la fin des années 70, donc c'est pas vieux. Mais attention, quand on dit jeune, c'est réducteur, genre « ils ont pas encore compris, ils ont pas encore mûri... » Comme on nous l'a beaucoup dit à l'époque. Maintentant, c'est une musique de jeunes parce que tous les mômes ils ont grandi avec ça. Nous, on a pris ça en court, eux ils baignent dedans. Nous ce qu'on ne pouvait obtenir qu'à New-York, pour ceux qui y allaient, maintenant le mec, s'il veut trouver le moindre truc en rap, il va à Virgin, la Fnac où il veut, et il y a tout.
Sinon, plus tu prends de l'âge et de la maturité, plus cela se ressentira dans tes textes. Même IAM, tu vois le premier et le dernier album, tu vois la différence dans l'écriture, dans la maturité... Tout ça c'est venu avec le temps. Le rap, c'est une musique où, en tant que MC en tout cas, à un certain âge, tu passes à autre chose. A 40 ans, tu laisses le micro. En même temps, tu as appris vachement, au niveau business, studio... Tu peux créer un label et automatiquement les jeunes qui arrivent derrière, ils profitent de ça. Il y a une évolution et une transmission qui se fait à ce niveau-là. Tu passes derrière voir ce qui se passe.


- La méfiance à l'égard des « majors» du disque est-elle aussi forte qu'aux débuts du mouvement ?

C'est toujours pareil, à l'époque, le rap et le hip hop n'étaient pas pris au sérieux. Les majors savaient très bien qu'en signant des gens d'une vingtaine d'années qui n'avaient jamais mis les pieds dans le bizness, ne savaient pas forcément comment ça marche, n'avaient pas la thune pour qu'un avocat lise et négocie les contrats, ils pourraient en profiter. Des mecs qui n'ont pas de sous, tu leur proposes 20 000 francs ! Pour faire ce que tu aimes, on te donnes 20 000 francs ! Mainteannt, c'est plus pareil. On comprend mieux le truc, au début, c'est clair, y'a eu des enculades.


- L'autoproduction reste importante pour le développement du hip hop ?

Pour moi, le développement du hip hop et du rap, il est dans l'autoproduction. Moi, j'ai démarré dans l'autoproduction et maintenant, je suis sur un label indépendant. Si à un moment tu as laissé un petit peu faire, que t'as pas fait comme tu le voulais, t'as pas donné l'image que tu voulais, que le son c'était pas le tien, donc arrivé un moment, tu veux contrôler ça et qui peut mieux le contrôler que des gens qui sont vraiment dedans. D'où le développement de l'autoproduction, ce qui te permet de sortir sans avoir de gros moyens derrière. C'est la débrouille, t'as fait le truc avec le coeur et tu l'as sorti, tu vois. C'est aussi une manière de se faire remarquer par les plus gros, quoi. Le développement du rap passe par l'autoproduction et l'indépendance, c'est comme ça. Le jour où les majors se désintéresseront du rap, le rap existera toujours. C'est comme un produit, ça monte, ça stagne après ça descend.


- Penses-tu qu'il devrait y avoir un soutien des institutions ?

Les politiques donnent des subventions à des orgaismes après qui vont dans les quartiers et qui, par exemple, sont investis dans du matériel de musique pour les maisons de jeunes. Voilà. Pourquoi ? Parce que les mecs à un moment se disent qu'ils ne comprennent plus les jeunes et la seule chose qu'ils voient pour les atteindre, c'est le rap, le hip hop. Donc ils montent des ateliers de samplers, d'écriture... Certains sont vraiment très bien intentionnés. Moi, j'ai bossé avec des gens, pour des ateliers d'écriture ou quoi, et les jeunes ils sont là. Automatiquement, à un moment les jeunes commencent à faire des conneries et on ne voit pas autre chose que le rap. Les animateurs sont traités mal par les gamins alors que moi quand j'arrive pour l'atelier, c'est comme une salle de classe, le silence, tous les mômes avec leur cahier. Dès que le mec il rentre, il se fait jeter. Les jeunes, ils sont dans un trip, ils sont à fond dedans et ils voient que tu peux leur amener quelque chose par rapport à ça et, donc, ils vont se donner. T'en vois qui n'écrivaient pas un mot au début et qui après 15 jours, te sortent des textes. Et ce phénomène-là, au niveau des institutions, ils ont du mal à comprendre. Des gosses qui à l'école ne font rien et qui ont un cahier plein de textes, qu'est ce qui se passe ? Mais il faut faire attention, on peut tomber dans le plan où le député visite le quartier, « voyez c'est cool, c'est moi qui l'ait fait ». C'est malsain. Faut faire attention. Je suis un peu partagé. Poiur les mecs sur le terrains, les animateurs, qui sont deséspérés qui se disent, « à part le rap, je vois pas ce qui peux les intéresser »... Pourquoi pas. Parce que sinon, j'ai déjà vu quand arrive les élections, le Centre Social peut demander ce qu'il veut : « on veut des samplers »... Il faut du suivi. Moi je suis partagé, pendant trop longtemps, le rap a été récupéré. Nous on l'a vécu. D'un autre côté, les mômes quand ils ont leur matos, ils s'en foutent de savoir d'où ça vient... C'est un leurre de penser aussi que ça va faire évoluer les choses et changer les jeunes. C'est le même truc qu'avec le sport. Les mômes ils s'éclatent mais arrête, le problème il n'est pas là et tout le monde le sait très bien. Si tu veux vraiement faire évoluer la rue, garde tes samplers !


- Que penses-tu de l'album du Bisso qui mêle les influences africaines au rap ?

C'est cool, c'est un délire, un clin d'oeil. Ils sont dans leur trip, c'est leurs origines. Le rap c'est une musique qui est très large, il y a toutes les influences. Et quand tu reprends des trucs africains, finalement, c'est des trucs africains qui ont influencé le R'nB, le jazz. Mais avant tout, ce qui compte, c'est la langue. t'entends des jeunes dire en écoutant du rap américain, « arrête, je comprends rien ». C'est pareil partout. Les Américians disent la même chose pour nous, « on comprend rien aux paroles ». Chaque pays récupère son truc et sa langue car à la base, c'est ça le rap, la langue.


Comment décrirais-tu le rap marseillais ?

Fort (rires), Marseillais et fier de l'être. Pendant longtemps, comme la ville était critiquée, petit à petit, notamment par le rap, on a récupéré nos lettres de noblesse et je suis content de ça aussi. On représente aussi Marseille... Pour le foot, y'a des moments on s'est posé la quetsion, mais pour le rap, ça dépasse la politique. Politiquement Marseille est une ville qui a été bridée. Et maintenant, ça explose et le rap fait partie de ces trucs qui explosent. Il y a du talent à Marseille. Mais je pense aussi que c'est lié, du fait d'avoir été négligé pendant longtemps, quand tu vois que personne ne te calcule, ça te donne la rage de faire les choses et d'avancer. Ca a été l'état d'esprit au début : on écrit, on écrit mais il faut qu'on soit bon, sinon on ne parlera pas de nous. On passera à côté. Tout la hargne elle vient de là, ça te donne la force d'avancer.


- C'est ça le Côté Obscur dont parle I AM ?

C'est un truc très lié à IAM et, par rapport à ce qu'ils ont fait, qui est très lié à Marseille, la ville qu'on ne calcule pas, qui est dans l'ombre. On travaille mais un jour on sera au grand jour. C'est une bonne philosophie : être dans l'ombre pour mieux pouvoir accéder à la reconnaissance. Quand t'as galéré, quand t'étais en bas pendant un moment... Quand tes bases sont solides, tu peux avancer. Et après la lumière ne te fait plus peur...


- Ton album s'appelle « C'est ma cause », quelle est-elle ?

Ca parle du hip hop. Tout ce dont on vient de parler. Tout ce que je fais, c'est lié au hip hop, je suis dedans à fond. Ca m'a permis d'évoluer personnellement. Dans l'album, je développe aussi quelques textes un peu drôles. C'est pas un album où je parles de ma vie. J'estime que c'est privé et ça intéresse qui ? Mais c'est grâce à mes expériences que je peux écrire les textes. En deux mots, le thème de l'album c'est « le hip hop et moi, ma vision »... J'y ai mis des personnages, prendre la peau d'un personnage pour raconter quelque chose : le souteneur, le feignant à la mer...


- J'ai interrogé Lapassade, le professeur qui a introduit le rap à la fac et il me parlait de la dissociation, c'est-à-dire aussi la transe du raveur que le personnage du rappeur...

La techno, je connais pas bien mais ce ne sont pas les mêmes gens. Ils ne viennent pas du même milieu. Ils peuvent s'éclater pour se changer les idées mais dans le rap, ce n'est pas la même chose. Tu peux pas t'évader. Si un mec commençais à écrire : « je vais me faire un rail, me piquer », il se ferait dégommer parce que c'est pas du tout ça le rap. Le rap, c'est des gens qui ont envie de s'en sortir. Quand on dit « je représente mes potes, le quartier », c'est une manière d'exister, de dire qu'on est là tandis que dans la techno, c'est peut-être plus l'envie de s'effacer de s'évader. C'est un milieu différent donc l'état d'esprit n'est pas le même... Les soirées rap parfois partent en couille mais le but des soirées, c'est de s'éclater, les musiques noires dont vient le rap, c'est pour faire la fête, s'éclater. Donc si t'as passé la soirée à t'éclater sur du son, c'est déjà bien et tu finis pas au poste. Le rap est très large, il y a beaucoup de courants.
L'egotrip est aussi un aspect important dans le rap. Le côté technique, l'exercice de style sur la forme. En soirée, quand c'est la fête, les gens ils ne vont plus écouter ce que tu dis mais comment tu le dis. Quand t'auras une méchante rime, ils seront là : waoouh ! Le hip hop a aussi commencé comme ça avec des mecs dans les soirées qui racontaient des conneries, après, c'est devenu plus sérieux...


- Tu sors ton premier album, vois-tu ça comme une reconnaissance, un aboutissement ?

Malgré tout le temps que je suis là, je suis quand même lucide là-dessus, c'est mon premier album solo et je le prend en tant que tel.. C'est un premier album alors je sais qu'il y a des défauts, des erreurs. Mais j'ai donné, j'ai mis les tripes dedans, tout ce que j'avais. On le juge comme on veut mais moi j'ai donné le maximum. J'ai pas à en rougir, qu'on le trouve bien ou pas bien...


- Tu es content d'être signé chez V2 qui hormis le Bisso n'a pas d'autres rappeurs français dans son catalogue ?

A Kif-Kif, la stratégie c'est de dire, on a un artiste et il faut le développer mais il faut trouver quelqu'un qui en ait envie. Ici, ça a l'air bien. Car je n'ai pas envie de m'arrêter après ce premier album maintenant que je suis là depuis 10 ans... V2 est la boîte qui était la mieux dans cet esprit.


- Tu arrives quand même avec une réputation « culte », ton album est très attendu...

C'est pas un album qui vient de nulle part. On a sorti des maxis et petit à petit, ça a pris et quelque part tu vois que quand tu travailles, ça commence à payer... Ca a été un travail de fond de 2 ans avec Kif-Kif à sortir des maxis. Ma logique, avec tout ce que j'ai fait avant, c'est « faut que tu taffes, qu'il y est un max de gens qui l'écoute donc ça doit être bien fait ». On a pris le temps, on a travaillé. Les gens s'en aperçoivent et savent que c'est pas de but en blanc. Tu travailles pour quelque chose et ton travail est reconnu, moi d'être reconnu je m'en fous. L'image, c'est vraiment secondaire, si je pouvais sortir un disque de Faf La Rage où on ne voit pas ma tête, où on ne sache pas qui c'est, je serais content.

Propos reccueillis par Olivier Cathus


Faf La Rage, album « C'est ma cause », disponible chez V2.